jeudi 29 mai 2008

Aminata Traoré : l'interview


Le 20 mars 2008, Hanane et Stella interviewaient Aminata Traoré à l'occasion de la sortie de son livre, L'Afrique Humiliée, aux éditions Fayard.

L'interview en vidéo: ici


"Nous, peuples d’Afrique, autrefois colonisés et à présent recolonisés à la faveur du capitalisme mondialisé, ne cessons de nous demander : que sommes-nous devenus ? Les pays riches ont peur de notre présence quand elle n’est pas susceptible d’ajouter à leur avoir, peur de nos différences quand elles sont trop visibles. Inutiles, les nouveaux naufragés entassés sur des embarcations de fortune, supposées les conduire vers la terre ferme de l’Europe. Invisibles, les désespérés qui traversent l’enfer du désert. Indésirables, ceux qui, menottes aux poignets, sont reconduits dans leur pays d’origine. Mais l’humiliation du continent africain ne réside pas uniquement dans la violence, à laquelle l’Occident nous a habitués. Elle réside également dans notre refus de comprendre ce qui nous arrive. Car il n’y a pas d’un côté une Europe des valeurs et du progrès et de l’autre une Afrique des ténèbres et des malheurs. Cette vision, que certains d’entre nous ont tendance à intérioriser, vole en éclats dès l’instant où l’on touche du doigt les mécanismes de la domination, de la paupérisation et de l’exclusion. Le défi auquel nous faisons face aujourd’hui, c’est d’imaginer des perspectives d’avenir centrées sur les êtres humains. Une réappropriation de nos destins qui fait appel à nos langues, à nos repères, à des valeurs de société et de culture qui nous sont familières." Aminata Traoré

Y'en a marre!


Textes écrits en février 2008 par Line-C-Reine une féministe gouine décolorée sous le coup d’une lucidité rageuse et dans la foulée de discussions rageuses accumulées.

T’as cru quoi ? J’suis pas là pour ça !

T’as cru qu’t’étais beau ?
T’as cru qu’t’étais intéressant ?
Faut arrêter, t’es ni l’un ni l’autre, et tu m’fais même pas rire.
T’as cru qu’j’étais pas sérieuse ?
C’est toi qu’es pas sérieux avec ton humour à 2 francs et ton vocabulaire à 4 centimes :
Tes casse-bonbons, tes réflexions, tes blagues à la con, j’en veux pas, j’en veux pas du tout !
C’est d’la merde et j’préfère cent fois me marrer avec mes copines, et faire la folle avec ces tarées !
Le sérieux et la distance, c’est rien qu’pour vous les gars,
Les délires et l’affection, c’est que pour vous les filles !
Heureus’ment qu’vous êtes là pour relever l’niveau et pour tout déchirer.
Franchment sans vous j’pèt’rai un plomb, vous m’rassurez sur la nature humaine et j’adore votre intelligence.
« Les filles elles sont belles, les garçons à la poubelle ! », elles sont belles c’est clair, mais elles sont plein d’autres choses encore. J’en dirais pas autant des gars, ou plutôt si, ils sont plein d’autres choses que lourds et prétentieux pour pas grand-chose, ils sont comiques tellement ils comprennent pas grand-chose et ils sont pathétiques aussi à force d’être tellement prévisibles.
Le mot gars est politique bien sûr, il est pas biologique, il est pas universel.
J’les mets pas tous dans l’même sac. Ceux qui sont visés se sentiront visés, les autres se reconnaîtront s’ils doivent se reconnaître.
J’en veux aux gars, t’as vu ?
Y’a des raisons. Ils ont trop la confiance, ils ont trop d’arrogance. J’en veux plus d’tout ça, faut arrêter d’se faire marcher sur les pieds, d’les écouter trop poliment, trop gentiment. Ils méritent pas ça, on mérite pas ça. Faut s’rendre compte que c’est trop abusé, qu’on est trop abusées, trop flouées, trop baisées. Faut plus accepter tout ce rajoutage, on n’est pas là pour ça, on a mieux à faire que subir et sourire.
Mes potes elles sont trop fortes. Elles emmerdent le patriarcat sans pitié, sans « mais ». Elles en ont rien à foutre d’être des meufs, des vraies, elles ont pas besoin d’être rassurées par tous ces kemés qui les oppriment. Elles ont capté qu’ç’était pas la peine de les attendre, de les comprendre. Qu’c’était entre elles qu’elles étaient bien, qu’elles s’éclataient.



Ca nous connaît.

Avec la participation de Mima du 7/8.

On sabote, on s’affiche,
On carotte, on s’en fiche,
C’est nous les saboteuses !

On avance, on balance,
On trafique, on veut du fric,
C’est nous les crève-la-dalle !

Affichage
Racontage
Rigolage
Rajoutage
C’est ça notre vie.

Décalage
Dérapage
Prise d’otages
Sabotage
C’est ça notre kif !

On provoque, on se moque
On défonce, on s’défend,
C’est nous les guérillères.

On déchire, on assure,
On se bat, on s’en bat,
C’est nous les terroristes !

Insomnie
Energie
Stratégie
Idées d’génie
C’est ça notre classe.

Mauvais goût
Plans relous
Vie chelou
Trucs de fou
C’est ça qu’on aime.




C’est quoi ces conneries ?

Y’a trop d’trucs pas normaux qu’on trouve normal et moral alors qu’ils sont tout sauf normal et moral.
C’est normal d’élever une gamine comme une future maman, une future bonniche, une future séductrice ?
C’est normal d’élever un gamin comme un futur guerrier, un futur pilote de course, un futur superman ?
C’est pas normal, c’est normatif, injonctif, répressif. C’est pas moral, c’est sexiste.

Et ces histoires de couleurs, c’est quoi ces délires ? Rose pour les filles, bleu pour les garçons, et pourquoi pas riz pour les filles et pâtes pour les garçons ?!
Pareil pour les habits, les études, les métiers.
Ils ont cru qu’on était pas d’la même espèce ? Qu’on avait pas le même cerveau, les mêmes bras, les mêmes jambes ? Ils ont cru qu’ils pouvaient nous endormir parce qu’on avait pas le même sexe entre les jambes ? Qu’ils pouvaient nous payer moins et nous exploiter plus parce qu’on avait une « chatte » et pas une « bite » ? Qu’on était là pour faire le ménage, la bouffe, les courses parce que c’est écrit « femme » sur notre front ? Que les gars étaient là pour commander parce que « le masculin l’emporte sur le féminin » comme dans la grammaire française ?
Moi j’suis pas là pour avoir peur des bonhommes qui m’entourent même s’ils ont été dressés pour faire peur, même si j’ai été élevée pour ça. J’suis pas là pour obéir à des mecs qui n’ont rien d’autre comme autorité que leur pénis et leurs couilles.

Tout ça c’est p’t’ être violent à entendre, mais c’est pas d’ma faute si la réalité elle est violente, si le patriarcat nous dit : « tu seras objet sexuel et bonniche aux ordres des hommes parce que tu as le mauvais sexe entre les jambes », et c’est la moindre des choses d’enrager contre cette réalité là qui nous prépare dès la naissance à d’venir des chiennes sans défense face à tous les mauvais coups qui nous attendent.
Ca veut pas dire qu’on résiste pas, nous les femmes, qu’on lutte pas tous les jours. Ca veut juste dire que ce système tout pourri il nous aide pas du tout à réussir dans la vie, et ne serait-ce qu’à survivre. Parce qu’il nous tue tous les jours ce bâtard, il nous frappe tous les jours ce chien par le biais de ses agents de la gente masculine.

Mais t’inquiète on n’est pas aussi connes que ce système sexiste ne le répète tous les jours sur toutes les chaînes télé, sur toutes les stations radio et dans tous les magazines féminins ou masculins. On n’est pas aussi faibles que ce système ne l’a toujours écrit, dit et pensé dans sa littérature, sa philosophie et sa science.

Et on en donnera la preuve quand on arrêtera ce système de tourner en rond, quand on le sabotera tant et tellement qu’il sera obligé de s’excuser à genoux devant nous, qu’il sera obligé de nous lâcher tout c’qu’on demande là tout d’suite ou sinon on l’explose ce système.

samedi 24 mai 2008

Le jour où j’ai failli me faire lapider

Aujourd’hui, 8 mars 2005, journée dédiée à la femme (aux femmes), je participe à ma première manifestation pour le droit des femmes. Cette année, les principaux mots d’ordre sont en faveur d’une meilleure égalité des salaires, contre les violences faites aux femmes (principalement les violences conjugales) et pour le droit à l’avortement. Je me baladais de cortège en cortège pour prendre la ‘’température’’ de la manif : quels sont les cortèges ‘’pêchus’’ et ceux qui le sont moins, quelles sont les organisations présentes et celles qui sont absentes ?

L’ambiance était bon enfant… Au début du moins. Premier incident : j’ai eu le malheur de traverser le cortège de Lutte ouvrière… là furent les premières attaques. ‘’Vous n’avez rien à faire ici !’’. Tout de suite, avec une amie, nous répondons à ces femmes que nous avons autant le droit d’être ici qu’elles. Cette embrouille vite oubliée, je continue ma balade et qu’est-ce-que je remarque par terre ?! Un mini tract sur lequel on voit dessiné une jeune demoiselle qui porte un voile, avec un air un peu ingénu, suivi de la légende suivante : ‘’Petite sotte, si un homme viole ta pudeur, ne te voile pas, crève lui les yeux’’ !. Ce dernier était signé ‘’CNT’’. Je m’interroge encore sur la pertinence et l’utilité d’un tel tract ?... Certainement que la CNT (1) se préoccupe tellement des femmes qui portent le voile qu’elle avait décidé d’en faire son principal combat (c’est connu le féminisme de la CNT !!).

Je ramasse ce bout de papier dans l’intention de le montrer aux copines et copains parce qu’il faut avouer qu’il était hallucinant ! Un peu avant la fin du parcours de la manif, j’accompagne une amie à l’entrée du métro car elle devait prendre son train pour Rennes. Je retourne à la manif mais celle-ci commençait à se disperser. Autour de moi, ne restait plus aucun visage familier. Les copains avaient certainement dû se poser dans un café comme à notre habitude. Je m’apprêtais à appeler pour savoir où ils étaient quand une femme s’approche de moi : elle était hystérique, s’agitait dans tous les sens et me criait que ma place était en Iran, que si j’étais dans ce pays ou en Afghanistan, je ferais moins la fière… Je me retrouvai très vite entourée d’une meute de femmes enragées qui me hurlaient de quitter la place. Déstabilisée par un tel déchaînement de haine, je trouve quand même le courage de leur faire face et leur réplique : ‘’Comme ça c’est moi qui suis la cause de tous les malheurs que subissent les femmes ? Puisque vous étiez à cette manif pour dénoncer les discriminations faites à leur encontre et vues les réactions hostiles dirigées contre moi,on pourrait croire que tout cela est de ma faute ! Et bien, je vous propose une solution : lapidez-moi sur la place publique et tous vos problèmes disparaîtront !’’.

Je ravalais une larme de colère et m’apprêtais à quitter l’endroit quand, cerise sur le gâteau, une toute jeune demoiselle me tend le flyers dont je vous ai parlé plus haut…Je craque et lui réponds les larmes aux yeux : ‘’Merci, grosse conne (pardon pour le langage), mais la petite sotte a déjà eu la chance de tomber sur votre tract ! Et je n’ai nul besoin de vos conseils pourris !!’’. Sa réponse m’a complètement effondrée : ‘’Mais pourquoi es-tu si violente ?’’ A ce moment, je cherchais juste une échappatoire… Un ami me voyant entourée ainsi, courut à ma rencontre et m’extirpa de ce lynchage annoncé !

Vous vous demandez pourquoi j’ai été la cible de tant de haine ? Je vous donne donc l’indice que j’ai omis volontairement dans mon récit : je suis musulmane et je porte un hijâb, le voile… Est-ce que cela légitime toutes ces réactions ? Je vous laisse le soin de répondre… Maintenant que vous avez ce nouvel élément, relisez le texte et voyez si vous êtes autant outrés…

Hanane

Ce texte est paru dans L’Indigène en mars 2007.

(1): Confédération Nationale du Travail (syndicat anarchiste).

jeudi 1 mai 2008

Les mouvements féministes vus par Virginie Despentes


Interview de Virginie Despentes, auteure de King Kong Théorie.

Samedi 10 mars 2007, par RED.

RED : Que penses-tu du mouvement féministe actuel, en France particulièrement, après une division lors de la loi sur l’exclusion des jeunes filles voilées ? Et quelles perspectives d’avenir ?
VD : Ce que vont produire les jeunes féministes (textes, discours, images ou sons) m’intéresse énormément, elles passent clairement une étape et inventent des vies et des attitudes qui semblaient impossibles, il y a moins de trente ans. Dans les quinze années à venir (...), je pense qu’on va assister à une explosion pure et simple du « féminin » tel qu’imposé depuis des millénaires. La violence des femmes, notamment, me semble un enjeu d’importance. Mais ça, c’est mes projections personnelles.
Les féministes françaises traditionnelles et vivantes me fatiguent un peu, avec des exceptions notoires. En France le mouvement féministe a quand même été confisqué par des femmes d’une classe sociale bien particulière, confisqué, étouffé et enterré. Maintenant, quand on dit « féminisme », elles voudraient pouvoir contrôler le label, autoriser ou pas à l’employer. Et pour y être autorisée, il faut partager avec ces vieilles dames qui sont toutes nées riches une série de points de vue plus ou moins déprimant, plus ou moins aliénant. La division sur la loi sur l’exclusion des jeunes filles voilées, j’ai du mal à la placer dans une perspective féministe, il s’agirait plutôt de trauma post-coloniaux. Des femmes blanches parlent à la place des filles voilées, et savent mieux qu’elles ce qu’elles ont à faire, pour leur propre bien. On connaît cette attitude de dames patronnesses. C’est une attitude que ces mêmes femmes blanches ont avec les putes. Là aussi elles se permettent de s’exprimer à la place des filles qui travaillent. Comme au temps de la Comtesse de Ségur, quand les dames charitables faisaient la tournée des maisons de pauvres. Qu’elles aillent se faire foutre avec leurs quignons de pain en échange de la bonne parole répétée. Je n’ai pas compris que des femmes puissent refuser de marcher avec les filles voilées, les déclarant d’entrée de jeu instrumentalisées.
On ne fait pas un tri à l’entrée des cortèges, d’habitude, on ne soumet pas les femmes qui veulent défiler le 8 mars à un interrogatoire « as tu déjà été entretenue par un homme ? As-tu déjà obtenu un poste grâce à ta séduction ? As-tu suivi un régime récemment ? As-tu les seins refaits ? Es tu trop coquette ? Partages-tu correctement les tâches ménagères chez toi ? Élèves-tu ton fils comme ta fille ? Joues-tu parfois le jeu du sexisme pour séduire un homme ? etc ». Sinon, bon, il y aurait trois bonnes femmes et une banderole et toutes les autres resteraient chez elles.
Je veux bien écouter ce que les filles de ni pute ni soumise ont à dire sur la question, puisqu’elles sont effectivement en rapport plus direct avec les personnes concernées que je ne le suis depuis dix ans. Mais je veux bien aussi écouter ce que les filles qui portent le voile ont à dire (par exemple dans le très bon documentaire « un racisme à peine voilé », qui est instructif). Et je ne vois pas pourquoi j’écouterais des journalistes parisiennes qui ont des certitudes sur la question, jusqu’à présent le sort des rebeux ne les avaient pas intéressées (...).