mercredi 1 octobre 2008

« Ainsi, tout le monde verra qui nous sommes »

une fiction de Stella Magliani-Belkacem



J’ai 14 ans. J’habite Babel depuis 8 ans. Je suis l’aînée de 7 frères et sœurs. Nous habitons les courées. Entassés comme tous les autres.

Je suis ouvrier constructeur. Ça dépend des mois, je fais 150, 148 par mois, j’ai jamais dépassé plus. J’en ai 8 des enfants. J’ai quatre pièces, deux en bas, deux en haut.

Mes études je veux les continuer jusque 18 ans, peut-être 20 ans. Les enfants ce sera deux, pas plus. Comme je vois ma mère elle arrive à s’en sortir avec nous, mais quand même c’est trop. Avoir des enfants, ils nous cassent la tête.

Je vais me sacrifier pour qu’il va être mieux que moi mes enfants. Moi si je suis un ouvrier constructeur je voudrais bien ou bien ma fille ou bien mes garçons ils reçoivent les félicitations.

Ils sont là. Entassés. Mieux logés que dans les courées, c’est vrai. Mais parqués comme du bétail. C’est ici les quartiers de transition. On y accède après avoir satisfait un rapport d’enquête qui tient compte du peuplement du logement, de l’équipement du logement, de facteurs exceptionnels, de facteurs d’appréciation dont la solvabilité, la tenue des locaux, la tenue des personnes, le milieu social. Est-il quelconque ou vulgaire ? Primaire, rustre ou en évolution ? Ou, est-il parfaitement adaptable ? Toutes ces questions pour prétendre habiter ici. Pour deux ans en principe. Souvent plus.

Ici on est à peu près 400 enfants. Et c’est trop je trouve. C’est comme qu’ils auraient fait une clôture et un fossé tout autour de nous. Les maisons elles sont plein de salissures, les coins ils sont tordus, les murs ils s’usent. Ici y a que des arrivants. Y a une bonne ambiance mais seulement c’est trop regroupé. On a l’impression que c’est fait exprès que tous les arrivants soient regroupés comme ça. Les Babeliens sont pas différents des autres, ah non, mon père il travaille, leurs pères ils travaillent, qu’est-ce j’en ai à foutre moi, ils disent ce qu’ils veulent. Un jour y avait trois hommes, des Babeliens, ça se voyait à leur mine, ils passaient et puis moi j’étais là, je les ai entendus, ils disaient comme ça que ici c’est les illégaux , alors moi j’étais tellement écoeurée que je les ai regardé jusqu’à là-bas, jusqu’au bout. On dit qu’on pue, que les arrivants amènent les poux. L’erreur n’est pas permise ici pour nous.

Il est un problème grave qui se pose aux arrivants, c’est la rupture qui peut se poser entre parents et enfants. Les parents, très imprégnés de leur culture initiale, ont un certain mal à s’adapter à nos habitudes babeliennes, à notre langue… Mais pour les enfants des arrivants, c’est tout le contraire. Les enfants d’arrivants apprennent le babelien à l’école, ils parlent babelien avec leurs camarades… Bref, ils sont complètement babelisés. Ils risquent alors d’être coupés de la langue de leurs parents, de la culture de leurs parents. Des efforts sont entrepris pour trouver des solutions à ce problème.

Les enfants d’arrivants rejettent leur culture initiale parce qu’ils sont confrontés à un autre milieu qui est beaucoup plus séduisant. L’apprentissage, ou le réapprentissage de la langue initiale à ces enfants leur permet de mieux saisir leur personnalité, de mieux saisir leur patrimoine culturel et de se présenter à la société babelienne comme des enfants équilibrés qui ont eux aussi, à leur tour, quelque chose à apporter.

Seulement 15% des enfants d’arrivants connaissent ou apprennent leur langue initiale. Dans plusieurs quartiers de l’agglomération, des groupes de bénévoles, composés d’arrivants évolués, ont mis en place des animations linguistiques.

Que préfères-tu ? Le babelien ou ta langue initiale ?

Beaucoup d’enfants d’arrivants demeurent encore écartés de ce type d’animations faute de moyens financiers et pédagogiques, mais aussi de locaux et de compréhension. Babel ne prend peut-être pas suffisamment en compte les spécificités linguistiques et culturelles de tous ces enfants.

Intéressons-nous aux enfants d’arrivants en milieu scolaire. Ces enfants, dont le babelien n’est pas la langue initiale, y compris ceux nés à Babel, doivent concilier deux choses très difficiles. D’une part la scolarisation babelienne, et d’autre part leur culture initiale.

Y en a à l’école ils me parlent pas. Je suis une arrivante. La maîtresse elle dit rien, elle s’en fout, elle dit c’est ton problème.

Ils sont près de 900 000 de moins de 16 ans, enfants de l’Exil, aux racines lointaines. Enfants d’arrivants, on leur impute tout : le manque d’hygiène, la baisse du niveau de l’enseignement, et même le désordre des courées et des quartiers de transition.

Avec les enfants d’arrivants comment ça se passe pour vous ? A mon niveau ça se passe bien, mais disons que certaines personnes évitent de mettre leur enfants au groupe scolaire laïque et gratuit parce qu’il y a des arrivants. C’est que ça retarde la scolarité. Enfin, au niveau du primaire je crois pas trop. Disons que c’est aux parents peut-être de donner un soutien mais on peut se débrouiller, y a toujours une solution. Y a toujours une solution à un problème.

Quand on parle de l’enseignement dispensé à ces enfants, le vrai problème qui se pose très rapidement c’est la connaissance du babelien. Et pour beaucoup c’est une réelle difficulté dans la mesure où ils ne peuvent bénéficier du soutien familial.

On sait pas lire, on sait pas écrire alors pour aider nos enfants on sait pas. Alors il faut quand même ils nous aident. Puisqu’on travaille ici, qu’on aide ici, on est des coopérants, non ? alors faut bien que Babel nous aide aussi. Pourquoi on est là ? Moi je suis venue à l’âge de 15 ans. Je me suis mariée, mes enfants ils sont nés là. Alors quand mes enfants ils reviennent de l’école et qu’ils me disent maman à cause de toi je sais pas le vocabulaire et tout comme il faut, moi je dis c’est à la maîtresse de l’aider, c’est pas à moi. Moi je sais pas lire. Moi j’ai pas été à l’école. D’où je viens, pendant la guerre on payait tout. Fallait payer pour tout, même pour l’école. On pouvait pas. Alors moi je veux que mes enfants ils aillent à l’école, je veux mes enfants qu’ils deviennent un jour quelque chose.

30% des enfants arrivants fréquentent l’école primaire et ces enfants prennent du retard scolaire, donc nous avons pensé qu’il fallait faire quelque chose et nous avons fait appel aux enseignants. Ce retard scolaire est dû à une mauvaise compréhension du babelien. Très souvent, malgré qu’ils soient nés ici. Ils manquent véritablement de vocabulaire. Dans ces 30%, seulement 13% d’entre eux suivent un cursus normal tandis que les autres intègrent le cursus de perfectionnement.

Pourtant aujourd’hui les enfants d’arrivants sont scolarisés comme les Babeliens dès la maternelle. Simplement, dès que se pose le problème de l’apprentissage du babelien, on essaie d’envoyer les petits arrivants dans des classes d’initiation. Mais le nombre de ces classes est nettement inférieur au besoin réel et le problème reste posé pour la majorité d’entre eux.

Depuis lundi c’est la fin de la période légale interdisant les expulsions. La famille Nita, une famille d’arrivants babelisés, vit à Babel depuis 25 ans. C’est une famille de onze enfants. Ils sont sous la menace d’une expulsion.
Le 3 novembre monsieur le commissaire il est venu ici, il a ramené une lettre et il a dit voilà lendemain matin vendredi ils prendront les enfants mineurs pour les mettre au centre fermé et moi et mon mari et les enfants majeurs dehors ! J’ai pas confiance. Jusqu’à aujourd’hui j’ai caché mes enfants pour qu’ils restent avec moi. Je donne pas mes enfants, pas la peine ils pensent avoir mes enfants. L’Office Public ce qu’il m’a répondu c’est à cause problèmes de voisinage. Quand j’étais le voir, le jeudi il reçoit les gens, monsieur l’officier il est sorti là dans la salle d’attente et il a vu tous les papiers et les feuilles sur mes genoux il a dit c’est toi Nita ? J’ai dit oui monsieur l’officier et il a dit je te reçois pas, t’as compris ? C’est ce qu’il m’a répondu, devant les gens. M’a pas fait entrer dans son bureau. Devant les gens, comme ça, il m’a répondu. Alors moi je comprends pas pourquoi ils veulent m’expulser. De quelles raisons ?

Monsieur Nita devrait, avant de me demander un rendez-vous, répondre aux convocations du président de l’Office Public. Pour ma part, je n’ai pas de conflit direct avec monsieur Nita. Il travaille, il est constructeur pour la commune, je n’ai rien à lui reprocher en ce qui concerne son travail. Mais qu’il réponde préalablement aux convocations de l’Office Public et qu’il vienne débattre du conflit qui l’oppose à l’Office ! Il y a, ceci étant, des plaintes de centaines de personnes qui ne peuvent pas vivre comme ça non plus. La famille Nita, avec ses onze enfants, est une famille, parmi quelques autres, responsable des dégradations. On cherche à faire en sorte que ces gens là arrêtent sans pour autant qu’on les expulse. C’est ce qu’on cherche et c’est ce dont la famille Nita n’a pas voulu.

Depuis quelques jours, et jusqu’à dimanche, a lieu la semaine du Dialogue, organisée par le secrétariat d’Etat aux constructeurs arrivants. Une semaine qui nous invite à une réflexion, fraternelle autant que possible, sur les arrivants, mais qui est, cependant, diversement accueillie par leurs organisations même, voire par les syndicats de constructeurs. Certains disent, en effet, qu’une semaine par an pour dialoguer sur les arrivants, c’est trop peu à côté de 51 semaines de pression. Quoiqu’il en soit une véritable politique de l’arrivée passe par l’accueil, l’information, le logement, la répression accrue du trafic de main-d’œuvre, l’alphabétisation, la scolarisation, la pré-formation systématique, et surtout le respect de la dignité. On a demandé officiellement aux policiers de ne plus tutoyer les arrivants. Les syndicats policiers sont d’accord. Mais bien souvent, trop souvent, les arrivants rencontrent surtout l’indifférence, les brimades, les tracasseries administratives, voire les expulsions. Chaque mois, 3000 à 4000 arrivants sont reconduits dans leur pays initial. Et on se demande ce qu’il va se passer pour les 300 000 d’entre eux qui vont voir leurs cartes de travailleurs-constructeurs expirer cette année. Il y a actuellement sur Babel 4 000 000 d’arrivants, près de 8% de la population totale de la Cité. Sur 4 000 000, 1 800 000 sont des constructeurs actifs.

Cet après-midi, à la suite du conseil des ministres, un certain nombre de mesures ont été annoncées. Suspension provisoire des expulsions, arrêt de toute expulsion de jeunes arrivants et encouragement au rassemblement des familles. Le secrétaire d’Etat chargé des arrivants a ensuite apporté des précisions : la situation des arrivants arrivés avant le mois de janvier et ayant un poste de constructeur stable seront normalisés et une loi garantissant les droits des arrivants est en préparation. Mais parallèlement, on va renforcer le contrôle aux frontières de la Cité pour éviter les arrivées non régulées. Il est vrai que ce problème de la place des arrivants dans la société babelienne existe et qu’il est difficile d’y trouver une solution à un moment où, les travaux de la Tour étant pratiquement terminés, la pénurie d’emplois est très importante dans notre Cité.

En trente ans, ils ont construit 7000 km de Tour, une pierre taillée sur quatre sort de leur main, une machine sur sept est fabriquée par eux : les constructeurs arrivants. Peut-on aujourd’hui s’en priver ? Pour cela, il faudrait que la revalorisation du travail manuel soit plus rapide. Un grand nombre de babeliens refusent encore les travaux effectués d’ordinaire par les arrivants. Cependant une récente enquête de l’office des arrivants prouve que sur trois postes de constructeur vacants, un poste est pris par une babelien. A l’époque de la Grande Arrivée, les arrivants étaient alors les bienvenus, acceptant les postes de constructeurs dont les babeliens ne voulaient pas. Aujourd’hui, la Tour étant sur le point d’être achevée, on regarde les constructeurs arrivants d’un œil différent, on parle d’eux en quotas, en taux de pourcentage, en seuil de tolérance. Lorsqu’ils sont arrivés, il y a 30 ans, rien n’était préparé pour les accueillir, alors sont nées les cités de réception, résorbées 20 ans plus tard. Les ouvriers se sont logés près de leur lieu de travail, et tout naturellement dans le centre de la Cité, The Tower Quarter, faisant le bonheur des loueurs de couchage, arrivants évolués ou Babeliens. Bien que passibles d’emprisonnement ou d’amendes, ceux-ci continuent d’exercer leur triste commerce. Scandaleusement les loueurs de couchage louent à plusieurs la même cabine. Par une extraordinaire rotation les constructeurs arrivants occupent la cabine à tour de rôle, par tranches de 8 heures, pendant que les autres occupants sont sur le Chantier.

J’ai demandé plusieurs demandes logement. Quand je suis téléphoné il m’a dit si, y a pas de problème, quand j’ai été me présenter m’a dit c’était pris y a cinq minutes. Y en a beaucoup ils aiment pas les arrivants.

Les quartiers de transition deviennent de moins en moins provisoires, de plus en plus définitifs. Ils s’érigent à la périphérie de la Cité, abritant uniquement des familles encore nationalisées. La discipline y est parfois difficile, la promiscuité trop importante.

Ici chacun il vit comme s’il a oublié lui-même. Y a pas de sorties ni rien du tout. Jamais de la vie des babeliens ils nous invitent chez eux. Moi je l’ai invité comme les copains qui travaillent avec moi mais il veut pas qui vienne chez moi

En tant que Babelien je me sens moi aussi rejeté par les arrivants. Quelquefois la violence vient de leur part et pas de la nôtre. Très souvent. Ils font comme un complexe du fait qu’ils sont pas babeliens. Ou bien ils se disent et bien ma foi on nous regarde un petit peu comme des renégats, c’est pas vrai mais bon. Dans le fond je pense que c’est pas moi qui est violent. Je recherche pas leur fréquentation, voyez. Par contre s’ils me sont sympathiques, s’ils sont gentils, je suis gentil avec eux. C’est tout.

Tous les matins l’Office des arrivants voit grossir ses files d’attentes. Renouvellement, prolongation, normalisation prouvant leur identité, leur fonction, leur droit de résider dans la Cité Babelienne. Certains s’informent aussi des possibilités de retour en pays nationalisé. Les nouveaux accords concernant la réinstallation des arrivants dans leur pays initial, une fois la Tour érigée, sont toujours à l’étude. Leur application s’en fait attendre.

Des rondes de contrôles de police s’organisent jour et nuit. Malgré ces contrôles, depuis plusieurs années, 200 000 à 400 000 constructeurs non régulés se seraient infiltrés, vivraient illégalement dans la Cité. La frontière est aujourd’hui bouclée. Mais que faire de ceux nés chez nous, et qui souvent ne parlent même pas leur langue initiale ? Ils ont perdu toute identité et ne seront jamais Babeliens. Ces jeunes refusent la situation de leurs parents et réagissent peut-être avec un peu plus d’agressivité. La plupart refusent le Retour.

Les Brigades du Repli ont déjà préféré investir les sous-sols de la Cité, piratant l’électricité babelienne et nos nappes phréatiques. Ces phénomènes semblent s’aggraver sans que les Autorités mettent en place de véritables réseaux de répression.

Rappel des faits. Pillages, barricades, affrontements avec les forces de l’Ordre, scènes d’une violence inouïe, voilà à quoi ressemblent, depuis trois nuits aujourd’hui, les courées de la cité de réception 1.9 confrontées à la colère de centaines de jeunes arrivants suite à la mort d’un arrivant de 21 ans dans des circonstances troubles.

Les adultes c’est des cons. C’est vrai, ils comprennent rien aux jeunes. Ils comprennent pas, ils disent pourquoi ils volent ces petits cons, pourquoi c’est des voyous, pourquoi tant de violence ? Comment vous voulez pas qu’il y a de la violence ?

Comment grandir au milieu d’une violence quotidienne ? Tous les professionnels poussent aujourd’hui un même cri d’alarme. Les conduites violentes se développent dangereusement chez les mineurs et en particulier chez les jeunes issus de l’arrivée. Tous avouent leur inquiétude, certains se disent dépassés, d’autres parlent d’une bombe à retardement que Babel aurait sous son nez. Face à une telle constatation, la tentation du tout répressif peut être la plus forte.

La violence ça me fait pas peur. C’est question d’habitude. Le mec qui veut prendre le blouson à quelqu’un, faut bien qu’il soit violent. Il va pas lui dire enlève ton blouson, l’autre il va lui dire non. Alors ça va être la bagarre. Ça va se finir un à l’hôpital et l’autre au commissariat. C’est sûr ça. On va pas demander à sa mère maman achète moi un beau survêtement j’en ai pas. Sa mère elle va lui parler en non-babelien, elle va lui dire tu crois que j’ai de l’argent, c’est déjà bien si je vous nourris. C’est comme ça. Mais c’est pas dur en fait. J’ai grandi comme ça. Comment vous voulez que ça soit dur ? Fallait travailler, fallait pas voler, fallait pas être violent. Ma mère je l’aime ma mère. Hier déjà elle est venue, elle était pas contente. Je sais pas comment vous dire. Tous les jeunes qui font des conneries c’est parce qu’ils ont grandi comme ça, ils ont vu leur frère rentrer avec les menottes, ils ont vu la police venir chez eux à 3 heures du matin, faire une perquisition, faire ça, faire ci, leur casser les couilles. Les jeunes qui étaient dans les caves et qui te disent quand t’es petit vas-y petit va chercher un tournevis pour péter la bécane, va chercher la pince-monseigneur, va chercher ci. Alors après tout ça ça rentre. C’est comme l’alphabet babelien. Ça finit par rentrer. Et ça sort plus. C’est dur de trouver un boulot, c’est dur de trouver de l’argent. J’ai 15 ans mais, je vous l’ai dit, ma mère elle peut pas. Même si elle gagne, y a pas assez. On essaie de faire de notre mieux. Les parents ils ont pas eu de chance. Ils disent que maintenant c’est bien, l’école elle est obligatoire et tout, qu’on peut sortir avec un diplôme, avec un travail. Moi je crois que moi je trouverai pas de travail.

Quartiers de transition, entre angoisse et résignation. Au moment où les Autorités s’apprêtent à prendre une nouvelle série de mesures pour ces zones en difficulté, beaucoup dénoncent un mal de vivre.

Moi quand je rentre de mon travail, je fais mes courses, je rentre chez moi et j’en ressors plus. Déjà mon fils qui a neuf ans qui veut jouer dehors, je l’interdis de jouer dehors.

Moi je suis bien, je quitterais pas le quartier. Faut faire avec. Y en a beaucoup ils ont peur. Vu les jeunes qui traînent en bas.

Les gens ils nous voient. Un groupe de cinq ou six, pour eux on est violents. Ils se rendent pas compte. Y a pas de violence. C’est eux la violence. C’est eux et leurs chiens. Ils sont mal dans leur peau, c’est tout.

Le calme est revenu sur Babel après 48 h d’émeutes mais c’est le calme sur une Cité défigurée. Des magasins ont été détruits, des voitures incendiées et la Tour assiégée. Des pompiers, des policiers, des journalistes et des riverains ont été blessés. Ce matin la ville s’est réveillée sous le choc, comme anesthésiée par une telle flambée de violence. La Cité est toujours sous haute surveillance.

Tension cet après-midi autour et dans le centre de la ville. Les forces de l’Ordre ont patrouillé en rangs serrés autour de la Tour. On comptabilise plus d’une centaine d’arrestations juste pour cette nuit. Des manifestations continuent malgré tout de germer, autour de l’Office des arrivants ou encore autour des bâtiments de l’Office Public. Même si la situation reste, ce soir, confuse, le calme semble être revenu depuis ce matin. Autour de la Tour saccagée, la peur, le découragement, l’amertume ou l’exaspération jaillissent des cœurs et des regards.

Franchement j’ai peur. J’ai des enfants, je voudrais pas que ça recommence. J’ai jamais vu ça de ma vie.

Tout est calme. A peine quelques patrouilles de police. On est loin des émeutes qui ont enflammées la Cité il y a quelques semaines. Sur la Tour, une banderole flotte : plus jamais ça. Qui paiera pour les dégâts ?

Un désastre comme ça c’est écoeurant. Tous les matins on vient travailler ici et regardez ça. C’est malheureux de voir ça quand même. S’attaquer à la Tour comme ça, je sais même pas pourquoi d’ailleurs.


Et puis ce drame qui s’est déroulé dans l’indifférence générale. Un père de famille sans histoire a été littéralement lynché par une bande de jeunes arrivants. Battu à coups de pieds et de poings, il est mort peu après son arrivée à l’hôpital. La victime, un Babelien, travaillait dans une entreprise spécialisée dans le mobilier urbain et fournissait les quartiers de transition en réverbères.

Qu’en ont-ils après nous ?


L’humanité entière sous le choc après l’acte tyranniste le plus grave jamais commis dans le monde. Impossible de donner un bilan pour le moment, on parle d’un nombre effarant de morts.

On a d’abord pensé à un accident.

Vous l’avez bien compris, la Tour n’est plus.

La Cité a vécu un véritable cauchemar.

La Tour n’est plus.

Le scénario est incroyable, digne d’un film de guerre.

L’explosion est terrible.

Des scènes de détresse terrifiantes.

Des personnes prisonnières des gravats.

Dans la rue, les scènes de panique se succèdent.

Les gens sont choqués.

C’est vraiment un jour tragique.

C’était comme un tremblement de terre. Toute la Tour a été secouée, toute la Tour s’est mise à trembler.

Dans la ville les sirènes ne cessent de retentir. Les ambulances affluent de toutes parts.

On parle d’un nombre terrifiant de morts.

D’heure en heure le bilan ne cesse de s’alourdir.

C’est tout simplement inimaginable.

Babel a littéralement changé de physionomie.

La Tour de Babel n’existe plus.

La Tour s’est effondrée.

Des passants recouverts de poussière fuient la zone, incrédules.

De la Tour de Babel il ne reste que des gravats.

Les témoins parlent de scènes apocalyptiques.

Les sauveteurs affluent de toute la ville, risquant leur vie dans les décombres de la Tour.

En s’écroulant, la Tour a projeté des tonnes de débris sur toute la Cité.

Un épais nuage de poussière grise s’est répandu sur Babel semant une panique sans précédant.

Le centre de Babel a été évacué.

A travers Babel, c’est l’humanité elle-même qui a été attaquée ce matin par des lâches sans visages. L’humanité sera défendue. Je veux assurer au peuple babelien que les Autorités mobilisent toutes leurs ressources afin de sauver des vies et de venir en aide aux victimes de ces attaques. Ne vous y trompez pas, les babeliens traqueront sans répit et puniront les responsables de ces lâches actions.

Babel et le peuple babelien doivent être protégés.

Je demande aux Babeliens de se joindre à moi pour secourir les nôtres et pour traquer ceux qui mettront à mal notre détermination.

Nous sommes tous des Babeliens.

vendredi 26 septembre 2008

Hamé (La Rumeur): un harcèlement judiciaire qui n'en finit plus

Mardi dernier, le 23 septembre, c'est avec une grande joie que nous apprenions la relaxe de notre ami Hamé (du groupe de rap La Rumeur) après 6 années de harcèlement judiciaire de la part du Ministère de l'Intérieur (dépôt de plainte, appel de la première relaxe et cassation de la seconde).

Pour la troisième fois, un tribunal reconnaissait qu'il est légitime de parler de « harcèlement policier régulier » et d'« assassinats » commis par la police.

Pour notre part, nous n'en avions jamais douté.

Le Ministère public, de son côté, ne semble douter de rien: il vient de se pourvoir en cassation.

Vous pouvez soutenir Hamé en signant l'appel (si ce n'est déjà fait)

A voir: un entretien vidéo avec Hamé
A écouter: la réaction à chaud d'Hamé à l'annonce des délibérés et son bilan du procès du 3 juin 2008
A lire: Bilan d'un procès sous la plume d'une barbare par Karima Kouki

jeudi 25 septembre 2008

Hamé (La Rumeur): "Une gifle au Ministère de l'Intérieur"

En 2002, Hamé, rappeur du groupe La Rumeur, est poursuivi par le Ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, pour « diffamation à l’égard de la police nationale ». Trois phrases sont en cause, toutes trois extraites d’un article intitulé « Insécurité sous la plume d’un barbare » paru dans la Rumeur Magazine : « Les rapports du Ministère de l’Intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété », « la réalité est que vivre aujourd’hui dans nos quartiers, c’est d’avoir plus de chances de vivre des situations d’abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l’embauche, de précarité du logement, d’humiliations policières régulières… » et « La Justice pour les jeunes assassinés par la police disparaît sous le colosse slogan médiatique « ne touche pas à mon pote »… ». En 2004, Hamé est relaxé. Le Ministère de l’Intérieur fait appel et, en 2006, la relaxe est confirmée. Le harcèlement judiciaire n’en finit pas pour autant : en 2007, le Ministère saisit la cour de Cassation qui casse la relaxe. Le 3 juin dernier, Hamé comparaissait donc à nouveau devant une cour d’appel. Ce mardi 23 septembre, la cour d’appel de Versailles a rendu ses délibérés : Hamé est relaxé, il n’y a pas diffamation.

Ci-suit un entretien vidéo avec Hamé (en deux parties), réalisé quelques heures après l’annonce des délibérés :

Entretien par Stella Magliani-Belkacem
Réalisation par Awatef Fettar



A lire également: Bilan d'un procès sous la plume d'une barbare par Karima Kouki

mercredi 24 septembre 2008

jeudi 11 septembre 2008

"Nous ne sommes pas des modèles d'intégration"

Manifeste

Le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité Nationale vient tout juste de créer, par arrêté, un « prix de l’intégration » (3000 euros de « gratification financière ») en vue de le décerner à ceux « ayant accompli un parcours personnel d’intégration ayant une valeur d’exemplarité de par son implication dans la vie économique, sociale, associative, civique, environnementale, culturelle ou sportive » (Arr. 16 juin 2008, NOR : IMIK0814398A : JO, 26 juin).
Nous refusons, par avance, ce type de distinction qui n’est pas sans rappeler la figure coloniale de « l’évolué », chargé d’assurer la médiation entre les « civilisateurs » et la masse indigène à «civiliser».
Le fait même que ce prix soit attribué « sans condition de candidature » montre bien qu’il s’agit là d’un rôle qu’on nous fait tenir à notre corps défendant.

Nous, issu-e-s de l’immigration postcoloniale, des quartiers dits «sensibles», descendant-e-s d’esclaves, refusons que soient instrumentalisés nos parcours personnels, nos réussites scolaires, sociales ou professionnelles, ou encore notre maîtrise de la langue française et de la culture « légitime », en vue de mieux stigmatiser ceux des nôtres qui ont pris d’autres chemins relevant moins de « la bonne intégration ».

Nous, les « miraculé-e-s », ne voulons pas cautionner le « modèle français d’intégration » fondé sur un illusoire « quand on veut, on peut » : notre propre expérience, comme celles de nos proches, nous montre que nombreux sont les nôtres qui veulent, et ne font pas que vouloir, qui font (et plutôt deux fois plus que les autres) mais ne peuvent pas abattre seuls le mur d’une discrimination systémique (à l’emploi, au logement, etc.) et n’ont peut-être pas eu, comme nous, la chance de pouvoir profiter d’une des rares brèches de ce mur.

Par ailleurs, notre réussite ne tombe pas sous le sens, elle n’est que tolérée. Cette réussite est soumise, plus que pour d’autres, à l’excellence : nos parcours, et ceux des nôtres, nous montrent combien nous n’avons pas le droit à l’erreur et il suffit du moindre écart, de la moindre faute, pour nous voir ramené-e-s à « nos origines ». Et lorsque une « anomalie » entache le parcours d’un des nôtres, elle n’est pas jugée comme purement individuelle, comme pour d’autres, mais sert, trop souvent, à jeter le discrédit sur toute une communauté (ethnique ou religieuse).

A contrario, nous refusons de servir de modèle ou de norme.
Nous, non-croyant-e-s, peu ou pas pratiquant-e-s, pratiquantes non-voilées, refusons le rôle que l’on veut nous faire endosser de bon-ne-s arabes, de bon-ne-s musulman-e-s ou de bon-ne-s noir-e-s, et de servir de caution à la disqualification des « autres » désigné-e-s comme archaïques, traditionnel-le-s, rétrogrades, identitaires ou communautaires. Nous refusons que cela se fasse en notre nom.
Nous affirmons que le choix de porter le foulard n’est ni plus ni moins respectable que celui de ne pas le porter. Il en va de même pour ce qui est de manger du porc ou de ne pas en manger, et un mariage mixte n’est, à nos yeux, ni plus ni moins moderne ou progressiste qu’un mariage « entre pairs ».
Nos modes de vies sont le fruit de nos choix, de déterminismes sociaux et/ou de hasards. Ces options sont les nôtres et en aucun cas des modèles généralisables et imposables à tou-te-s, sous peine de stigmatisation.
Contre ceux qui cherchent à nous diviser, nous nous solidarisons avec nos frères et nos sœurs, ami-e-s ou voisin-e-s, qui assument d’autres choix que les nôtres.

Nous ne sommes pas à vendre. Et s’il existe un prix à payer afin d’obtenir notre respect, il ne s’agit ni de ces 3000 euros, ni de médailles en chocolat mais, notamment, de la mise en place d’une véritable politique publique (assortie de moyens conséquents) contre les discriminations qui existent massivement que ce soit à l’embauche, au logement, dans l’accès aux loisirs, dans les médias, dans la représentation politique, dans les pratiques policières ou judiciaires. Le prix de notre respect inclut également, et entre autres, la dissolution du ministère de l’Identité Nationale, l’abrogation de la loi du 15 mars 2004 dite « anti-foulard », l’abrogation totale de la double peine, la reconnaissance du passé colonial, l’arrêt des incessantes campagnes racistes et islamophobes ainsi que la régularisation de tou-te-s les sans-papiers.

A ceux qui estiment que c’est trop cher payé, nous répondons que ce prix n’est que celui qu’attend n’importe quel citoyen ordinaire pour pouvoir se reconnaître dans une République qui prétend avoir pour fondement la liberté, l’égalité et la fraternité, et nous les prions de s’interroger, de leur côté, sur le prix qu’ils nous demandent, à nous, de payer (la rupture avec les nôtres et la collaboration avec le statu quo inégalitaire) pour avoir droit à la reconnaissance sociale.

BOUALI Naïma, D.I.S. Chirurgie Pédiatrique
BOUAMAMA Saïd, sociologue et militant associatif
CHURCHILL Saïda, comédienne
CONFIANT Raphaël, écrivain, Martinique
DAHMANI Fatiha, enseignante/auteur
DEMIATI Nasser, chargé d'enseignement en sociologie à l'université d'Evry Val-d'essonne
DIAS Saidou, Ministère des Affaires Populaires
GABAROUM Laurent, cadre commercial Renault
GAUDIER AGBALE Christophe, architecte, urbaniste, sinologue
HAME, La Rumeur
ID YASSINE Rachid, doctorant de sociologie
KREFA Abir, enseignante de sociologie à l’université d’Aix-Marseille I
MAGLIANI-BELKACEM Stella, chargée de médiation culturelle
ZOUGGARI Najate, chef d'édition de la revue Mouvements

vendredi 15 août 2008

Rencontre avec Hamé (La Rumeur)

entretien réalisé par Stella Magliani-Belkacem

Le 3 juin 2008, j'assistais au renvoi en cours d'appel de "l'affaire Sarkozy contre Hamé" (lire l'historique de l'affaire réalisé par le site acontresens). Deux jours plus tard, Hamé revenait sur le procès au cours d'une interview (présentée ici en cinq parties):











Lire aussi Bilan d'un procès sous la plume d'une barbare par Karima Kouki

Les délibérés seront prononcés le 23 septembre 2008. En attendant, vous pouvez soutenir La Rumeur en signant le texte d'appel sur leur site.

mercredi 13 août 2008

Strange Fruit

« Primitive romantique et grossière, prisonnière de paroles de chansons débiles, femme trop grasse, trop paresseuse ou trop bête ». C’est ainsi que fut souvent qualifiée Billie Holiday (comme le rapporte Hilton Hals préfaçant l’ouvrage de David Margolick, Strange Fruit). De tous les poncifs racistes et sexistes, peu lui furent épargnés.

Au sein de son magnifique répertoire, Strange Fruit (1939) tient une place à part en évoquant, d’une manière inhabituellement frontale, les lynchages qui ont eu cours aux Etats-Unis.

Selon Angela Davis, Strange Fruit « a replacé la protestation et la résistance au centre de la culture musicale noire contemporaine » (Blues Legacies and Black Feminism: Gertrude Ma Rainey, Bessie Smith, and Billie Holiday, 1999)

Southern trees bear strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,
Black bodies swinging in the southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.

Pastoral scene of the gallant south,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolias, sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh.

Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop.


Des arbres du Sud portent un fruit étrange,
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,
Un corps noir oscillant à la brise du sud,
Fruit étrange pendu dans les peupliers.

Scène pastorale du valeureux Sud,
Yeux exorbités, bouche tordue,
Parfum de magnolia doux et frais,
Et une odeur soudaine de chair brûlée.

Ce fruit sera cueilli par les corbeaux,
Ramassé par la pluie, aspiré par le vent,
Pourri par le soleil, lâché par un arbre,
C’est là une étrange et amère récolte.

traduction de Michèle Valencia

Cette chanson a été chantée pour la première fois au Café Society, seul club new-yorkais, en 1939, à ne pas pratiquer la ségrégation raciale. Et même là, à une époque où la chanson contestataire était presque inconnue, Billie Holliday craignait les réactions du public :

« La voilà donc qui sort [du Café Society] en hurlant : « Renie, j’ai essayé de le tuer, j’ai essayé de le tuer, j’ai essayé de… ». Je lui ai demandé : « Qu’est-ce qui ne va pas, Lady ? ». Elle m’a alors raconté qu’il y avait ce type ‒ un Blanc de Géorgie, vous comprenez, un de ces « crackers » de Géorgie ‒ assis au premier rang en train de boire pendant qu’elle chantait Strange Fruit. Au moment où Lady allait sortir du club, il a braillé : « Venez ici, Billie ! ». Elle croyait qu’il avait l’intention de lui offrir un verre, mais il lui a dit : « Je voudrais vous montrer un “fruit étrange”, et… bon il a fait sur sa serviette un dessin parfaitement obscène, et sa façon de faire, c’était horrible ! Elle a alors attrapé une chaise, elle la lui a flanquée sur la tête et, avant d’en avoir fini avec lui, elle lui en a fait voir, parce qu’elle était devenue folle furieuse. Elle a attrapé ce bonhomme et l’a traîné dans toute la salle, je vous assure, si bien qu’ils lui ont dit ‒ le propriétaire et le videur du Café Society ‒, ils lui ont dit : « Allez-y, Lady. On va s’occuper de lui », et ils l’ont flanqué dehors. » Irene Wilson, autrice-compositrice, 1971.

vendredi 4 juillet 2008

C'est nous les traîne-la-patte


Texte écrit par nous, Line-C et Mima du 7/8*, lors d’un week-end glandouille hautement savouré par les amatrices de la glande-molle-attitude que nous sommes. Malgré son apparence légère, ce texte est pour nous très sérieux, et très profond. Il est le fruit d’un vécu et d’expériences trop répétés et marquants pour garder le silence.

Spéciale dédicace à M.A.B.

Fatiguées
Epuisées
Trop crevées
Pas levées
C’est nous les grosses dormeuses

Tranquillou
On prévoit pas
Bordéliques
On range pas
C’est nous les décompo

Pas pressées
Pas stressées
Pas bosseuses
Economes
C’est nous les traîne-la-patte

Deux à l’heure
Indécises
Pas précises
Evasives
C’est nous les 2 d’tension

Bien manger
Bien dormir
Faire la sieste
La grasse mat
C’est ça notre plan

Ignorer les problèmes
Laisser d’côté les gros sujets
C’est ça notre joie

Rigoler
Se détendre
Quand c’est sérieux
C’est normal
C’est nous les gros boulets

L’injonction
C’est pas bon
La pression
C’est relou
C’est nous la dé-pression

Pas bien vues
Pas renommées
Pas reconnues
Mal jugées
C’est nous les sans – statuts

On s’en fout
On sait s’qu’on vaut
Le moindre effort
C’est juste trop fort
C’est nous les boss !

* Fin juin 2008

jeudi 3 juillet 2008

Pourquoi on est allées à la Marche non-mixte du 14 juin, et pourquoi on en est reparties…


Texte écrit par Line-C, une traîne-la-patte.

La marche non-mixte du 14 juin s’annonçait bien : sur le papier du tract d’appel, rien à dire, au contraire, une bouffée d’air dans l’agenda politique du mouvement féministe. Rien à dire sur le fond, le ton, le point de vue ( NOUS) adoptés, le choix de la non –mixité, l’affirmation de notre force collective, pas d’organisation identifiable derrière. Alors on a eu envie d’y aller. On c’est moi et des copines des Rageuses. On y est allées à plusieurs, pour partager ce moment politique qui s’annonçait comme bienfaiteur au sens de thérapeutique pour les unes et les autres : reprendre l’espace sans peur, en force, comme le scandait le slogan le plus réussi de la manif : « LA RUE, L’ESPACE, LA PLACE…POUR NOUS ! », ce qui est énorme vu le parcours du combattant que ça peut représenter de se déplacer au quotidien pour nous toutes.

On y est donc allées. On retrouve avec plaisir des filles venues au Kabar du 11 juin. On constate avec plaisir aussi que nous sommes assez nombreuses, assez motivées à ce rassemblement. Commence la Marche.
Et là, on se met à ressentir du malaise, de la désapprobation, du décalage.
Au niveau des slogans et de l’itinéraire choisi principalement. Et puis on découvre un panneau avec inscrit : « être enfermée ou être voilée, tu parles d’un choix », et rien que là sur ce panneau, ça y est, y a beaucoup à redire !

Les slogans.
Ils sont trop souvent à la troisième personne : elle/elles (elle est harcelée, elle est agressée, elle est insultée, les femmes s’organisent…) et non à la première : NOUS. Et là, j’me suis dit : on n’est pas venues pour les autres, on est venues d’abord et avant tout pour nous-mêmes, on est venues pour crier en notre nom ! Ils sont trop souvent des injonctions (« saute, bouge, crie et frappe »), et des injonctions à faire des trucs balaises : frapper, exploser , détruire, défoncer des crânes.

Et là j’me suis dit : j’suis pas venue pour dire à d’autres femmes ce qu’elles doivent faire, et encore moins pour les faire complexer si elles se sentent pas d’avoir des réponses individuelles violentes aux violences reçues, moi-même j’en suis pas là du tout, et c’est comme ça.
Pareil, j’arrivais pas à reprendre le slogan : « dans tous les pays, dans tous les quartiers, liberté de circuler sans être emmerdées », (ou encore « solidarité entre les nations ») parce que là encore le point de vue est trop détaché : avant de parler de tous les pays (ou de toutes les nations), j’ai envie de parler du mien. Et mettre les quartiers sur le même plan que les pays c’est faire comme ci il y a des pays dans un pays, et ça ressemble à de la focalisation sur les quartiers populaires et indigènes, vu que c’est généralement ce que ça recouvre, « les quartiers ».

L’itinéraire, justement, il passe pour une grande partie à travers un quartier populaire et indigène de Paris, de quoi se demander là encore si cela ne suppose pas que le sexisme est plus spécifique à ces quartiers.

Bref, au final, on est déçues et on se retrouve pas là dedans, une fois de plus. On repart.

dimanche 1 juin 2008

Mercredi 11 juin: Kabar Maloya


Nous, féministes, lesbiennes, trans, indigènes, on a envie d’échanger nos trajectoires et nos expériences de lutte, de partager nos stratégies de résistance et les ressources culturelles, religieuses, politiques… dans lesquelles chacunE va puiser.
La soirée s’organisera en Kabar* qui consiste en une assemblée où chacunE peut dire ce qu’il/elle a envie, où on règle les problèmes collectivement.
Tout Kabar se termine par un Maloya, musique et pratique de résistance des esclaves.
Baskets, casquettes, foulard, sari, boubou, babouche, bienvenus !

*(du malgache kabary)

Mercredi 11 juin à 18h45
à la Maison Verte
125-127 rue Marcadet, Paris 18ème
M°Lamark-Caulaincourt

jeudi 29 mai 2008

Aminata Traoré : l'interview


Le 20 mars 2008, Hanane et Stella interviewaient Aminata Traoré à l'occasion de la sortie de son livre, L'Afrique Humiliée, aux éditions Fayard.

L'interview en vidéo: ici


"Nous, peuples d’Afrique, autrefois colonisés et à présent recolonisés à la faveur du capitalisme mondialisé, ne cessons de nous demander : que sommes-nous devenus ? Les pays riches ont peur de notre présence quand elle n’est pas susceptible d’ajouter à leur avoir, peur de nos différences quand elles sont trop visibles. Inutiles, les nouveaux naufragés entassés sur des embarcations de fortune, supposées les conduire vers la terre ferme de l’Europe. Invisibles, les désespérés qui traversent l’enfer du désert. Indésirables, ceux qui, menottes aux poignets, sont reconduits dans leur pays d’origine. Mais l’humiliation du continent africain ne réside pas uniquement dans la violence, à laquelle l’Occident nous a habitués. Elle réside également dans notre refus de comprendre ce qui nous arrive. Car il n’y a pas d’un côté une Europe des valeurs et du progrès et de l’autre une Afrique des ténèbres et des malheurs. Cette vision, que certains d’entre nous ont tendance à intérioriser, vole en éclats dès l’instant où l’on touche du doigt les mécanismes de la domination, de la paupérisation et de l’exclusion. Le défi auquel nous faisons face aujourd’hui, c’est d’imaginer des perspectives d’avenir centrées sur les êtres humains. Une réappropriation de nos destins qui fait appel à nos langues, à nos repères, à des valeurs de société et de culture qui nous sont familières." Aminata Traoré

Y'en a marre!


Textes écrits en février 2008 par Line-C-Reine une féministe gouine décolorée sous le coup d’une lucidité rageuse et dans la foulée de discussions rageuses accumulées.

T’as cru quoi ? J’suis pas là pour ça !

T’as cru qu’t’étais beau ?
T’as cru qu’t’étais intéressant ?
Faut arrêter, t’es ni l’un ni l’autre, et tu m’fais même pas rire.
T’as cru qu’j’étais pas sérieuse ?
C’est toi qu’es pas sérieux avec ton humour à 2 francs et ton vocabulaire à 4 centimes :
Tes casse-bonbons, tes réflexions, tes blagues à la con, j’en veux pas, j’en veux pas du tout !
C’est d’la merde et j’préfère cent fois me marrer avec mes copines, et faire la folle avec ces tarées !
Le sérieux et la distance, c’est rien qu’pour vous les gars,
Les délires et l’affection, c’est que pour vous les filles !
Heureus’ment qu’vous êtes là pour relever l’niveau et pour tout déchirer.
Franchment sans vous j’pèt’rai un plomb, vous m’rassurez sur la nature humaine et j’adore votre intelligence.
« Les filles elles sont belles, les garçons à la poubelle ! », elles sont belles c’est clair, mais elles sont plein d’autres choses encore. J’en dirais pas autant des gars, ou plutôt si, ils sont plein d’autres choses que lourds et prétentieux pour pas grand-chose, ils sont comiques tellement ils comprennent pas grand-chose et ils sont pathétiques aussi à force d’être tellement prévisibles.
Le mot gars est politique bien sûr, il est pas biologique, il est pas universel.
J’les mets pas tous dans l’même sac. Ceux qui sont visés se sentiront visés, les autres se reconnaîtront s’ils doivent se reconnaître.
J’en veux aux gars, t’as vu ?
Y’a des raisons. Ils ont trop la confiance, ils ont trop d’arrogance. J’en veux plus d’tout ça, faut arrêter d’se faire marcher sur les pieds, d’les écouter trop poliment, trop gentiment. Ils méritent pas ça, on mérite pas ça. Faut s’rendre compte que c’est trop abusé, qu’on est trop abusées, trop flouées, trop baisées. Faut plus accepter tout ce rajoutage, on n’est pas là pour ça, on a mieux à faire que subir et sourire.
Mes potes elles sont trop fortes. Elles emmerdent le patriarcat sans pitié, sans « mais ». Elles en ont rien à foutre d’être des meufs, des vraies, elles ont pas besoin d’être rassurées par tous ces kemés qui les oppriment. Elles ont capté qu’ç’était pas la peine de les attendre, de les comprendre. Qu’c’était entre elles qu’elles étaient bien, qu’elles s’éclataient.



Ca nous connaît.

Avec la participation de Mima du 7/8.

On sabote, on s’affiche,
On carotte, on s’en fiche,
C’est nous les saboteuses !

On avance, on balance,
On trafique, on veut du fric,
C’est nous les crève-la-dalle !

Affichage
Racontage
Rigolage
Rajoutage
C’est ça notre vie.

Décalage
Dérapage
Prise d’otages
Sabotage
C’est ça notre kif !

On provoque, on se moque
On défonce, on s’défend,
C’est nous les guérillères.

On déchire, on assure,
On se bat, on s’en bat,
C’est nous les terroristes !

Insomnie
Energie
Stratégie
Idées d’génie
C’est ça notre classe.

Mauvais goût
Plans relous
Vie chelou
Trucs de fou
C’est ça qu’on aime.




C’est quoi ces conneries ?

Y’a trop d’trucs pas normaux qu’on trouve normal et moral alors qu’ils sont tout sauf normal et moral.
C’est normal d’élever une gamine comme une future maman, une future bonniche, une future séductrice ?
C’est normal d’élever un gamin comme un futur guerrier, un futur pilote de course, un futur superman ?
C’est pas normal, c’est normatif, injonctif, répressif. C’est pas moral, c’est sexiste.

Et ces histoires de couleurs, c’est quoi ces délires ? Rose pour les filles, bleu pour les garçons, et pourquoi pas riz pour les filles et pâtes pour les garçons ?!
Pareil pour les habits, les études, les métiers.
Ils ont cru qu’on était pas d’la même espèce ? Qu’on avait pas le même cerveau, les mêmes bras, les mêmes jambes ? Ils ont cru qu’ils pouvaient nous endormir parce qu’on avait pas le même sexe entre les jambes ? Qu’ils pouvaient nous payer moins et nous exploiter plus parce qu’on avait une « chatte » et pas une « bite » ? Qu’on était là pour faire le ménage, la bouffe, les courses parce que c’est écrit « femme » sur notre front ? Que les gars étaient là pour commander parce que « le masculin l’emporte sur le féminin » comme dans la grammaire française ?
Moi j’suis pas là pour avoir peur des bonhommes qui m’entourent même s’ils ont été dressés pour faire peur, même si j’ai été élevée pour ça. J’suis pas là pour obéir à des mecs qui n’ont rien d’autre comme autorité que leur pénis et leurs couilles.

Tout ça c’est p’t’ être violent à entendre, mais c’est pas d’ma faute si la réalité elle est violente, si le patriarcat nous dit : « tu seras objet sexuel et bonniche aux ordres des hommes parce que tu as le mauvais sexe entre les jambes », et c’est la moindre des choses d’enrager contre cette réalité là qui nous prépare dès la naissance à d’venir des chiennes sans défense face à tous les mauvais coups qui nous attendent.
Ca veut pas dire qu’on résiste pas, nous les femmes, qu’on lutte pas tous les jours. Ca veut juste dire que ce système tout pourri il nous aide pas du tout à réussir dans la vie, et ne serait-ce qu’à survivre. Parce qu’il nous tue tous les jours ce bâtard, il nous frappe tous les jours ce chien par le biais de ses agents de la gente masculine.

Mais t’inquiète on n’est pas aussi connes que ce système sexiste ne le répète tous les jours sur toutes les chaînes télé, sur toutes les stations radio et dans tous les magazines féminins ou masculins. On n’est pas aussi faibles que ce système ne l’a toujours écrit, dit et pensé dans sa littérature, sa philosophie et sa science.

Et on en donnera la preuve quand on arrêtera ce système de tourner en rond, quand on le sabotera tant et tellement qu’il sera obligé de s’excuser à genoux devant nous, qu’il sera obligé de nous lâcher tout c’qu’on demande là tout d’suite ou sinon on l’explose ce système.

samedi 24 mai 2008

Le jour où j’ai failli me faire lapider

Aujourd’hui, 8 mars 2005, journée dédiée à la femme (aux femmes), je participe à ma première manifestation pour le droit des femmes. Cette année, les principaux mots d’ordre sont en faveur d’une meilleure égalité des salaires, contre les violences faites aux femmes (principalement les violences conjugales) et pour le droit à l’avortement. Je me baladais de cortège en cortège pour prendre la ‘’température’’ de la manif : quels sont les cortèges ‘’pêchus’’ et ceux qui le sont moins, quelles sont les organisations présentes et celles qui sont absentes ?

L’ambiance était bon enfant… Au début du moins. Premier incident : j’ai eu le malheur de traverser le cortège de Lutte ouvrière… là furent les premières attaques. ‘’Vous n’avez rien à faire ici !’’. Tout de suite, avec une amie, nous répondons à ces femmes que nous avons autant le droit d’être ici qu’elles. Cette embrouille vite oubliée, je continue ma balade et qu’est-ce-que je remarque par terre ?! Un mini tract sur lequel on voit dessiné une jeune demoiselle qui porte un voile, avec un air un peu ingénu, suivi de la légende suivante : ‘’Petite sotte, si un homme viole ta pudeur, ne te voile pas, crève lui les yeux’’ !. Ce dernier était signé ‘’CNT’’. Je m’interroge encore sur la pertinence et l’utilité d’un tel tract ?... Certainement que la CNT (1) se préoccupe tellement des femmes qui portent le voile qu’elle avait décidé d’en faire son principal combat (c’est connu le féminisme de la CNT !!).

Je ramasse ce bout de papier dans l’intention de le montrer aux copines et copains parce qu’il faut avouer qu’il était hallucinant ! Un peu avant la fin du parcours de la manif, j’accompagne une amie à l’entrée du métro car elle devait prendre son train pour Rennes. Je retourne à la manif mais celle-ci commençait à se disperser. Autour de moi, ne restait plus aucun visage familier. Les copains avaient certainement dû se poser dans un café comme à notre habitude. Je m’apprêtais à appeler pour savoir où ils étaient quand une femme s’approche de moi : elle était hystérique, s’agitait dans tous les sens et me criait que ma place était en Iran, que si j’étais dans ce pays ou en Afghanistan, je ferais moins la fière… Je me retrouvai très vite entourée d’une meute de femmes enragées qui me hurlaient de quitter la place. Déstabilisée par un tel déchaînement de haine, je trouve quand même le courage de leur faire face et leur réplique : ‘’Comme ça c’est moi qui suis la cause de tous les malheurs que subissent les femmes ? Puisque vous étiez à cette manif pour dénoncer les discriminations faites à leur encontre et vues les réactions hostiles dirigées contre moi,on pourrait croire que tout cela est de ma faute ! Et bien, je vous propose une solution : lapidez-moi sur la place publique et tous vos problèmes disparaîtront !’’.

Je ravalais une larme de colère et m’apprêtais à quitter l’endroit quand, cerise sur le gâteau, une toute jeune demoiselle me tend le flyers dont je vous ai parlé plus haut…Je craque et lui réponds les larmes aux yeux : ‘’Merci, grosse conne (pardon pour le langage), mais la petite sotte a déjà eu la chance de tomber sur votre tract ! Et je n’ai nul besoin de vos conseils pourris !!’’. Sa réponse m’a complètement effondrée : ‘’Mais pourquoi es-tu si violente ?’’ A ce moment, je cherchais juste une échappatoire… Un ami me voyant entourée ainsi, courut à ma rencontre et m’extirpa de ce lynchage annoncé !

Vous vous demandez pourquoi j’ai été la cible de tant de haine ? Je vous donne donc l’indice que j’ai omis volontairement dans mon récit : je suis musulmane et je porte un hijâb, le voile… Est-ce que cela légitime toutes ces réactions ? Je vous laisse le soin de répondre… Maintenant que vous avez ce nouvel élément, relisez le texte et voyez si vous êtes autant outrés…

Hanane

Ce texte est paru dans L’Indigène en mars 2007.

(1): Confédération Nationale du Travail (syndicat anarchiste).

jeudi 1 mai 2008

Les mouvements féministes vus par Virginie Despentes


Interview de Virginie Despentes, auteure de King Kong Théorie.

Samedi 10 mars 2007, par RED.

RED : Que penses-tu du mouvement féministe actuel, en France particulièrement, après une division lors de la loi sur l’exclusion des jeunes filles voilées ? Et quelles perspectives d’avenir ?
VD : Ce que vont produire les jeunes féministes (textes, discours, images ou sons) m’intéresse énormément, elles passent clairement une étape et inventent des vies et des attitudes qui semblaient impossibles, il y a moins de trente ans. Dans les quinze années à venir (...), je pense qu’on va assister à une explosion pure et simple du « féminin » tel qu’imposé depuis des millénaires. La violence des femmes, notamment, me semble un enjeu d’importance. Mais ça, c’est mes projections personnelles.
Les féministes françaises traditionnelles et vivantes me fatiguent un peu, avec des exceptions notoires. En France le mouvement féministe a quand même été confisqué par des femmes d’une classe sociale bien particulière, confisqué, étouffé et enterré. Maintenant, quand on dit « féminisme », elles voudraient pouvoir contrôler le label, autoriser ou pas à l’employer. Et pour y être autorisée, il faut partager avec ces vieilles dames qui sont toutes nées riches une série de points de vue plus ou moins déprimant, plus ou moins aliénant. La division sur la loi sur l’exclusion des jeunes filles voilées, j’ai du mal à la placer dans une perspective féministe, il s’agirait plutôt de trauma post-coloniaux. Des femmes blanches parlent à la place des filles voilées, et savent mieux qu’elles ce qu’elles ont à faire, pour leur propre bien. On connaît cette attitude de dames patronnesses. C’est une attitude que ces mêmes femmes blanches ont avec les putes. Là aussi elles se permettent de s’exprimer à la place des filles qui travaillent. Comme au temps de la Comtesse de Ségur, quand les dames charitables faisaient la tournée des maisons de pauvres. Qu’elles aillent se faire foutre avec leurs quignons de pain en échange de la bonne parole répétée. Je n’ai pas compris que des femmes puissent refuser de marcher avec les filles voilées, les déclarant d’entrée de jeu instrumentalisées.
On ne fait pas un tri à l’entrée des cortèges, d’habitude, on ne soumet pas les femmes qui veulent défiler le 8 mars à un interrogatoire « as tu déjà été entretenue par un homme ? As-tu déjà obtenu un poste grâce à ta séduction ? As-tu suivi un régime récemment ? As-tu les seins refaits ? Es tu trop coquette ? Partages-tu correctement les tâches ménagères chez toi ? Élèves-tu ton fils comme ta fille ? Joues-tu parfois le jeu du sexisme pour séduire un homme ? etc ». Sinon, bon, il y aurait trois bonnes femmes et une banderole et toutes les autres resteraient chez elles.
Je veux bien écouter ce que les filles de ni pute ni soumise ont à dire sur la question, puisqu’elles sont effectivement en rapport plus direct avec les personnes concernées que je ne le suis depuis dix ans. Mais je veux bien aussi écouter ce que les filles qui portent le voile ont à dire (par exemple dans le très bon documentaire « un racisme à peine voilé », qui est instructif). Et je ne vois pas pourquoi j’écouterais des journalistes parisiennes qui ont des certitudes sur la question, jusqu’à présent le sort des rebeux ne les avaient pas intéressées (...).

jeudi 10 avril 2008

Les cinéphiles et le garçon arabe

Par Stella Magliani-Belkacem


Comme plus de 400 000 spectateurs, je suis allée voir "La Graine et le Mulet" d’Abdellatif Kéchiche et comme un certain nombre de spectateurs d’origine maghrébine j’ai été, pendant une bonne partie de la séance, très émue. Cette émotion, que j’ethnicise presque, n’est pas sans raison.

La Graine et le Mulet n’est certainement pas le premier film traitant d’une famille issue de l’immigration maghrébine, mais ma mémoire de spectatrice recèle tant et tant de films faits par des Blancs [1], avec des Blancs, sur des Blancs, pour des Blancs, qu’ils encombrent sûrement et suffisamment mes souvenirs pour m’empêcher de trouver des équivalents au tableau de Kéchiche. Et puis, il y a la manière : une manière toute particulière qui ne fait pas jouer aux « Arabes » le second rôle mais bien les rôles principaux, qui ne dessine pas la trajectoire dramatique de quelques « galériens » ou d’un(e) « déraciné(e) » en quête d’identité, mais qui se tisse autour d’une famille dans sa quotidienneté, dans ses lieux communs et dans son incommunicable, qui prend le temps de se dire (le film dure 2h30), et une langue pour se dire.

On a très vite, en avançant dans le film, l’impression qu’il va nous donner un autre visage, au sens propre comme au sens figuré — ne serait ce que parce qu’il ne compte pas dans son casting un des acteurs du film « Indigènes » [2].

C’est un film qui nous ressemble, qui parle comme nous, qui mange comme nous, qui aime comme nous. Pour un peu, on croirait presque appartenir à un universel, et pour tout vous dire, nous y sommes si peu habitués que l’émotion n’en est que plus forte.

La Graine et le Mulet raconte l’histoire de Slimane, ouvrier sur un chantier naval de Sète, trop vieux aux yeux de ses supérieurs pour encore fournir un travail rentable. Il se voit remercié par son patron après 35 années au service de l’entreprise (dont seulement 15 « déclarées »). Contrairement au souhait de ses fils de le voir « rentrer au bled », Slimane va utiliser sa « prime » de licenciement pour restaurer un bateau qui rouille sur le port afin d’en faire un restaurant où il envisage servir une spécialité cuisinée par son ex-femme : le couscous au poisson. Il va être soutenu dans ses démarches (auprès de la banque, en vue de sa demande de licence et auprès d’un conseiller municipal) par la jeune Rym qui l’aime et le chérit comme un père. Rym est la fille de la nouvelle compagne de Slimane, propriétaire de l’hôtel où il vit désormais, entouré par bien d’autres chibanis [3]. Ses difficultés à obtenir les autorisations et le prêt nécessaires à la réalisation de son projet l’amènent à organiser, sur le bateau enfin restauré, une soirée de préfiguration à laquelle il invite tout le gratin sétois à venir goûter au fameux couscous. Il s’agit de tous les convaincre de sa crédibilité et de la viabilité de son commerce. Ses filles, ses belles-filles et son ex-femme, bref, toutes « ses » femmes, mettent vaillamment la main à la pâte : elles préparent le couscous, assurent le service et veillent à la satisfaction de cette assemblée de Blancs bientôt exécutive. Les chibanis aussi jouent un rôle important dans cette soirée de « réhabilitation » du vieux Slimane : ils assurent, sur scène, la musique.

Comme je le disais, j’ai été très émue pour une bonne partie de la séance, mais le dernier quart du film m’a fait l’effet d’une douche froide. Moi qui m’étais cru dans cet entre-nous, dans cette approche différente qui faisaient finalement de nous des gens comme tout le monde, des n’importe qui — des « singularités quelconques », pour reprendre l’appellation d’Agamben — j’avais cru entrevoir la validation de cet universel auquel nous aussi nous pourrions croire appartenir, et c’est finalement cet autre universel qui, comme un couperet, et venu, une fois de plus, nous barrer le chemin. Cet universel à la française qui nous discrimine, nous déshumanise, nous maltraite — et maltraite, surtout, « nos » garçons.

Le rêve de Slimane tourne au cauchemar.

La question que pose le film, et qui se pose plus explicitement au creux d’une réplique de l’un des chibanis : est-ce que nos pères immigrés ont immigré pour rien ? Slimane doit en effet prouver, à lui-même comme à ses enfants et à la société française — représentée dans le film, mais aussi spectatrice du film — qu’il n’a pas immigré pour rien. Pour cela, les personnages de chibanis et de femmes d’origine maghrébine mobilisent toutes leurs forces, des forces surhumaines. Et il n’en faudra pas moins.

Le film met en valeur une nouvelle ère pour les Français d’origine maghrébine : les pères immigrés sont vieux, meurent, sont morts ou mourants, et leur mémoire est déjà à réhabiliter. Il y va de l’avenir de leurs enfants dans la société française.

Et qui vient salir cette mémoire ? Qui vient briser le rêve de Slimane ? Qui, plutôt que de l’aider à courir vers une nouvelle gloire inespérée, s’acharne à le faire courir jusqu’à l’épuisement ? Pas les autres chibanis, qui comprennent. Pas les femmes, qui supportent. Pas même la banquière, qui veut bien entendre, ni même le conseiller municipal, qui finit par être convaincu du quand on veut, on peut. Pas même le patron, qui vire, mais qui indemnise, et même, qui reconnaît le tort commis.

Ce n’est plus La Faute à Voltaire [4] mais bien la faute aux« garçons arabes ».

Le dîner rédempteur tourne au drame. D’abord, par la faute du fils. Il a une trentaine d’années, tout au plus, marié à une femme qu’il maltraite, il est le père d’un enfant dont il ne s’occupe pas. Il trompe sa femme, tous le savent. Il a tous les traits de l’hétérosexuel brutal, sexiste, qu’on désigne le plus souvent sous les traits du « mec de cité » ; il a tous les traits du « garçon arabe » qu’une large masse des discours médiatiques et politiques s’acharnent à nous « vendre ». Parce qu’au début du repas il remarque, attablée parmi les prestigieux convives, une de ses maîtresses, dans sa lâcheté prévisible, il s’enfuit, emportant par mégarde la graine (la semoule), restée dans le coffre de la voiture. Sans la précieuse semoule, impossible de servir le plat pour lequel tous sont venus. Slimane part alors vers la cité où vit son ex-épouse, attendant qu’elle lui prépare, on suppose, une nouvelle « cargaison » de couscous. Il ne la trouvera pas chez elle. Interviennent alors les autres coupables, qui sont autres mais qui, en fait, appartiennent au même archétype que le fils, celui du « garçons arabes ». D’une quinzaine d’années, ils ont volé la mobylette que Slimane a laissée au pied de l’immeuble. Commence alors une espèce de corrida, qui s’achève, dans les règles de l’art, par une mise à mort : les trois gamins chevauchant la mobylette font délibérément courir Slimane, qui les course en vain dans la cité avant de s’écrouler, à bout de souffle.

Ce qui m’a gêné ce n’est pas tant la manière dont s’échafaude le récit mais bien à quel point il se plie à l’air du temps. Cet air lourd, qui imprègne tout ce qui nous entoure et qui va jusqu’à asphyxier la pensée.

Nous ne sommes pas des n’importe qui, nous n’avons pas ce privilège : nous sommes la « racaille », nous sommes des « voyous », des « délinquants », des « sauvageons », nous sommes « l’insécurité », nous sommes « la violence urbaine », nous sommes des « barbares », des « casseurs », nous sommes la « bande ethnique », nous sommes « les émeutiers », nous sommes « homophobes », « sexistes » et « antisémites », nos quartiers sont « sensibles », nous sommes les « élèves en difficulté [5] . L’idéologie dominante est comme un bruit de fond, une petite musique ambiante : on en reprend l’air sans même s’en rendre compte.

* * *

Une vieillesse illégitime

La vieillesse des immigrés arabes, le nécessaire repos voire même l’incapacité qu’elle entraîne, alors que, si longtemps, on n’a toléré et justifié leur présence sur le sol français qu’en tant que main d’oeuvre, qu’en tant que force de travail, et qu’aujourd’hui encore, le Ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité Nationale ne parle que d’« immigration choisie », de quotas, de flux de marchandises à gérer en fonction de l’offre et de la demande, cette vieillesse ne peut apparaître que comme une incongruité totale, pour reprendre la formule d’Abdelmalek Sayad.

Que font-ils encore ici ? Pourquoi ne rentrent-ils pas « au bled » ? C’est la question que posent à Slimane ses fils, mais c’est aussi — et on ne peut l’occulter — la question que pose la société française aux immigrés vieillissants. Si cette question n’est pas ouvertement posée, elle devient en tout cas explicite en regard du peu d’intérêt social qu’on accorde à tous ceux qui ont eu l’outrecuidance de rester, de « regrouper » leur famille sur le territoire français.

Qu’ont-ils encore à donner ? C’est la question qui semble peser sur cette vieillesse illégitime [6]. Leurs forces ne sont plus suffisantes pour fournir un travail rentable (c’est d’ailleurs à ce titre que Slimane est licencié), on n’attend plus rien d’eux, même pas — surtout pas — leur mémoire : lorsque tant nous mettent en garde contre l’overdose mémorielle, ils excluent, non seulement, les colonisés et les descendants de colonisés de toute appartenance à l’Humanité, puisque indignes de figurer dans l’Histoire [7], ils exigent « de ceux qui ont tout oublié, à qui l’on impose de tout oublier pour mieux les opprimer, de renoncer à se souvenir » [8], mais ils dénigrent aussi, avec une brutalité déconcertante, le silence imposé à nos pères, à nos grands-pères. Un silence imposé parce qu’en tant qu’ouvriers, en tant qu’exploités, en tant que main-d’œuvre déportée à des fins spécifiques, occupés au travail comme pourraient l’être des bêtes de somme, occupant les postes les plus dégradants dont les français ne voulaient pas, ils ont traversé des années dures, où l’on ne se nourrit que pour tenir bon sur le chantier, où l’on n’a de temps que pour l’entreprise ou très peu pour soi — en tout cas pas assez pour prendre le temps de dire. Un silence imposé aussi parce que leur parole a été socialement dévalorisée : que vaut la parole d’un terrassier, d’un O.S., d’un agent de la propreté publique ? Mais encore parce que leurs langues, leurs cultures, leurs traditions et leur religion ont été disqualifiées.

C’est assurément avec l’honnête volonté et la légitime nécessité de réhabiliter nos pères — et plus précisément son propre père, comme Kéchiche le signale dans de nombreuses interviews — que s’est écrit La Graine et le Mulet.

Cette volonté de réhabilitation des chibanis s’exerce dans le fil même du récit (la trajectoire de Slimane qui, d’obstacles en obstacles, apporte la preuve d’un désir farouche de porter un projet bien à lui alors que tout le disqualifie) mais aussi dans la distribution du film (qui donne le premier rôle à un immigré, trop vieux pour travailler aux yeux de ses patrons, et qui l’entoure, notamment, d’un chœur constitué d’autres chibanis). Kéchiche, et ses talents indéniables de dialoguiste, leur donne non seulement la parole, mais aussi une parole bien à eux (pour preuve la longue scène qui s’étire, de manière justifiée, pour laisser la parole aux pensionnaires de l’hôtel où loge Slimane : ils s’y montrent cancan, fins d’esprit, politiques et tendres).

Si on ne peut pas dire qu’Abdellatif Kéchiche les idéalise (le cinéma n’en est évidemment pas encore à attribuer à des maghrébins des pouvoirs de super-héros : avant de pouvoir satisfaire les critères d’un Idéal, il faut, au moins, déjà remplir ceux d’un humain quelconque), on peut dire qu’il les humanise, et j’ai déjà souligné plus haut à quel point cette réhumanisation était salutaire. En plus de faire entendre leur parole, rarement audible, Kéchiche leur donne aussi, en la personne de Slimane, une possible sortie de leur invisibilité, une saillie envisageable hors de la volonté bureaucratique, de l’acharnement historique et de l’intérêt social proposé jusque-là. Kéchiche donne à voir de l’immigré maghrébin une puissance, souvent niée, sur son destin : Slimane défie l’assignation symbolique qui lui a été faite et exerce sa singularité en menant, coûte que coûte, ce projet de restauration d’un bateau (aussi usé que lui) et l’union des siens (des siennes, plus précisément) à l’œuvre pour ouvrir et faire « tourner » ce restaurant.

Des femmes qui assurent

Sur le même rang que les chibanis, occupant autant la distribution et portant aussi bien le récit : les femmes. On peut même dire qu’elles tiennent une place encore plus importante, puisqu’elles sont non seulement tout aussi nombreuses mais aussi plus différenciées : adolescente, jeune femme, épouse d’un maghrébin ou épouse d’un blanc, ex-femme ou maîtresse, filles, belle-fille ou petite-fille, fille d’adoption, elles y sont diversement représentées.

Dès lors leurs stratégies de résistance et leur pouvoir sur le fil de l’action sont multiples : l’une pousse son mari à l’insurrection contre son patron, l’autre console l’amant qui, terrassé par son licenciement, n’arrive plus à bander, l’une « couvre » le frère coureur, l’autre le sermonne, l’une prépare l’assiette de couscous pour son ex-mari, l’autre, plus jeune, aide le plus vieux à constituer un dossier et à affronter les obstacles administratifs, et toutes cuisinent, servent et épousent la cause de Slimane.

Et alors qu’on les croit céder au folklore, se plier à l’injonction d’exotisme qu’il leur est faite, répondre à un certain goût dégradant pour l’orientalisme, là encore, elles résistent : la scène finale, qui comme je l’ai dit, montre la course éperdue de Slimane, est montée en alternance avec une autre corrida, celle du personnage de Rym sauvant la soirée de l’impatience, de mauvaise augure, des bienfaiteurs, en les divertissant grâce à une danse du ventre très suave. Bien que cette suavité peut paraître très dérangeante, tant elle ne semble pas appartenir au personnage de Rym qui n’en fait aucunement usage avant cette scène finale, il ne faudrait pas croire que Kéchiche, mettant en scène cette danse du ventre, se place dans la pure reproduction d’une arabité acceptable. Ce que nous montre cette scène, c’est qu’il y a bien une attente blanche de la danse du ventre. Avant même que le personnage de Rym ne monte sur scène, la scène développant le début du repas est déjà érotisée. Et cet érotisme ne vient pas de n’importe où et ne se dirige pas vers n’importe quoi : les hommes blancs sont avinés et s’inquiètent de savoir si les seins d’une des filles qui assurent le service sont « du vrai ou du faux ». Comme répond une des filles en cuisine : « chez nous, y a que du vrai ». Et justement, la vraie, la juste arabité incarnée dans cette danse du ventre c’est de savoir ruser avec les attentes des blancs, de se réapproprier, de resignifier et d’instrumentaliser le stéréotype qui nous écrase : il s’agit de devenir acteur de l’archétype qui nous échoit dans une stratégie personnelle de résistance. On voit bien combien les blancs sont ébahis devant cette beurette qui leur offre cette danse du ventre et on sait, surtout, qu’on n’a pas vu Rym s’évertuer à danser à un autre moment du film, seule ou parmi les siens, on ne lui connaît pas ce savoir, pas avant qu’elle ait à s’en servir contre l’irritation des blancs. Il s’agit là de la capacité du dominé à instrumentaliser, face au dominant, son stigmate. Nous ne sommes donc pas qu’en présence d’une aliénation mais bien dans l’exhibition d’un cliché, utilisé ici comme ressource possible, pour le dominé, afin de se sortir d’une aporie.

On regrettera, au passage, que la bande annonce n’est pas fait preuve d’une telle ingéniosité, puisqu’elle ne consistait qu’en une production de visuels orientalistes, proposant ainsi aux spectateurs de s’en satisfaire et d’y soigner son impatience, aussi bien qu’une danse du ventre devant une assemblée de blancs…

Les Blancs ou la violence rationalisée

À ces deux groupes positivés — les femmes et les chibanis — un autre groupe est censé s’opposer : celui des Blancs, des patrons, des banquiers, des administrateurs, du pouvoir.

Voilà pour ceux qui nous sont présentés comme faisant obstacle à Slimane et à son projet rédempteur. Mais, comme je l’ai signalé en introduction, ceux qui lui feront véritablement obstacle sont loin d’être de ceux-là. Prenons tout de même acte que le patron qui licencie Slimane est certes présenté comme un obstacle, et sa proposition est clairement désignée comme injuste (la prime de licenciement est trop faible puisqu’elle ne prend pas en compte les vingt années durant lesquelles Slimane a travaillé sans être déclaré). Mais à lui, au moins, Kéchiche donne sa chance : il s’agit d’un acteur qui y croit et d’un personnage tout du moins humanisé. D’autant plus, qu’une scène succédant au licenciement (une discussion entre Slimane et son gendre) fait apparaître la dimension « macro » de ce licenciement : la mondialisation. Cette cause « macro », qui dépasse l’injustice, et finalement, le choix singulier de ce patron, permet, dès lors, de ne pas renvoyer la violence exercée par le licenciement uniquement à une subjectivité malveillante. C’est la faute à la logique économique. Cette logique économique offre une rationalité au licenciement et à la prime insuffisante, qui ne se voit pas légitimée mais qui, au moins, est dite et qui, par là même, décroche la violence exercée par le patron de toute subjectivité malveillante ou, par exemple, raciste.

On donne sa chance et une parole au licencieur, comme on en donne tout autant à l’obstacle suivant : la banquière. Elle est certes montrée comme faisant preuve d’un peu de condescendance et on ne pourrait nier qu’elle participe à une scène présentée comme violente. Malgré tout, elle parle très gentiment à Slimane, — et à Rym venue l’appuyer — elle le connaît et le reconnaît et met, sans aucun doute, toutes les formes pour être aimable. S’il y a quand même au creux de cet échange une violence structurelle, elle est posée de manière fine et nuancée, se justifie par la légèreté du business plan présenté par Slimane et, encore une fois, s’accorde avec une cause « macro » : le fait que la banquière soit obligée d’en référer à ses supérieurs et, plus simplement, le fonctionnement même des prêts bancaires. Là encore, c’est la faute à l’économie.

Même chose, enfin, avec le conseiller municipal : même s’il est plus abrupt et plus méprisant que les autres protagonistes, il finira par ouvrir les portes à Slimane au titre du quand on trime, ça paye, tant la soirée de préfiguration l’aura convaincu.

Le seul racisme qu’on nous présentera finalement comme tel, sera le pur et dur des restaurateurs concurrents ; mais là encore, il sera rattaché à une causalité simpliste : la concurrence économique.

Chez Kéchiche, il n’existe donc pas de racisme systémique, structurel, mais bien qu’un racisme dû aux intérêts économiques.

On accordera donc à La Graine et le Mulet que cette œuvre montre effectivement que les portes sont fermées, mais euphémise cette injustice et la met en perspective.

La seule chose qui ne soit pas mise en perspective, c’est la violence du fils et des voleurs de mobylette.

Le « garçon arabe » ou la violence diabolisée

Là où la violence exercée par le patron, par la banquière et par tous les autres blancs est dite, rationalisée et drainée par une certaine logique, rien de tout cela dans le cas du fils qui maltraite sa femme et dans celui du vol de la mobylette qui entraînera l’effondrement de Slimane. Je ne dis pas que cela serait simple à dire mais qu’il n’y a rien dans le film pour que cela puisse être dit. Les voleurs de mobylette, ni même d’autres garçons de leur âge, n’ont d’existence dans le film, sinon dans la mise à mort de Slimane. On n’accorde rien à ces personnages.

On donne leur chance et une parole au licencieur, au conseiller municipal, à toutes les puissances blanches, on les contextualise alors qu’il n’y a aucun discours des jeunes garçons eux-mêmes, ni même meta discours, qui expliqueraient que ce ne sont pas seulement des fous dangereux, des irresponsables, des sadiques, des sous-hommes, pour avoir pu faire ce qu’ils ont fait.

Cette omission, cet évident manque de rationalité, cette absence totale de liens logiques, ne se sont pas construits par hasard. Ils sont conformes à une idéologie dominante et si on pourrait être amenés à dédouaner Kéchiche de sa responsabilité individuelle dans la propagation de cette idéologie dominante tant cela procède d’une mécanique complexe, il est surtout important de comprendre que ceux qui la font fonctionner sont autant manipulateurs que manipulés. Ils manipulent d’ailleurs d’autant mieux qu’ils sont eux-mêmes manipulés et inconscients de l’être [9].

Cette manipulation est, notamment, irriguée par une idéologie mise en place au nom du féminisme.

Les violences des « mecs de cité », des « jeunes de banlieues », sont médiatisées, dramatisées et instrumentalisées tandis que d’autres violences, plus systémiques, qui touchent toute la population française mais plus particulièrement et plus spécifiquement les plus précaires, et donc ces mêmes habitants des banlieues, sont euphémisées, minimisées voire niées. Le chômage, la précarité, le racisme sont de ces autres violences [10] qui acculent le personnage de Slimane. C’est pourtant la violence symbolique de son propre fils (sa lâcheté et, du coup, le fait qu’il se désolidarise des siens) et la violence de « petits voyous » des jeunes de sa cité qui seront présentées comme fatales à Slimane.

Une lecture de la fiction de Kéchiche envisagée avec les relents les plus prégnants de l’idéologie dominante est d’autant plus évidente quand on prend en compte à quel point tous les rôles féminins sont positivés. Leur rôle est principal et cette posture d’héroïne ne s’écrit pas uniquement au creux de La Graine et le Mulet, elle est écrite par avance : les discours politiques et médiatiques, parés dans une posture féministe, ont assignés à la jeune maghrébine un rôle convenu, celui de l’héroïne. Comme le montre Nacira Guénif Souilamas [11], les filles d’immigrés maghrébins sont victimes de leur succès. Plébiscitées (sauf quand elles sont voilées, et, assurément, point de voilées dans La Graine et le Mulet), on s’évertue à nous les figurer recelant des ressources cachées (Rym, de son acharnement à porter le projet de Slimane à sa danse du ventre, en est la plus forte incarnation).

En illustrant au cœur de sa fiction un imaginaire déjà développé par un certain féminisme allié au républicanisme (celui, entre autres, des Ni Putes Ni Soumises) [12] , Kéchiche retend la fracture entre deux camps : le camp de la beurette et le camp du garçon arabe.

Sans même parler de la caricature grossière des jeunes voleurs de mobylette, on peut voir à quel point le portrait du fils volage de Slimane participe au tableau désormais entendu de la stigmatisation du garçon arabe : tandis que les filles, toutes sans exception, sont du côté du père, le bon travailleur immigré honnête et méritant, le fils et, non seulement, un « salopard » dans le privé mais, de surcroît, un fumiste au travail. Il travaille dans le tertiaire et il y travaille mal : peu consciencieux, tandis qu’il doit assurer une visite guidée à bord d’un bateau, il quitte son poste, laissant une collègue dans l’embarras, pour aller faire l’amour à une maîtresse dans la cale. Ceci va tout à fait en opposition avec le père dans son rôle de travailleur soigneux possédant un véritable savoir-faire. Le gendre de Slimane est le seul garçon qui échappe à ce discrédit mais c’est au prix de marcher sur les pas du beau-père, le bon gars de « la première génération » : il occupe le même poste, sur le même chantier, et comme le fait remarquer son épouse, il « ferme sa bouche » devant le patron.

Un féminisme qui fait du tort aux femmes

En relayant ces discours néo-coloniaux [13] et en les illustrant si nettement, Abdellatif Kéchiche ne fait pas seulement du tort aux « garçons arabes » mais également à celles qu’il croit encenser à juste titre.

D’abord parce que, comme pour les garçons stigmatisés, en nourrissant un prêt-à-penser qui existe autour des « beurettes », on leur refuse, du même coup, une identité individuelle.

Ensuite, parce que si elles sont touchées par la violence qui entraîne la relégation sociale de « leurs » hommes (on le voit pour toutes les femmes qui entourent Slimane), elles sont, aussi et non moins, touchées par la stigmatisation et le racisme qu’on pratique sur le dos de « leurs » frères.

Un autre tort reste à envisager : en offrant, même par la voie de la fiction, de l’eau au moulin de ce féminisme d’Etat [14] qui ne peut s’élaborer sans la stigmatisation de « nos » garçons, Kéchiche réaffirme, aux yeux des hommes ainsi stigmatisés, une identité sur mesure qui entend tout comportement violent ou sexiste comme un fait de classe, un fait quasi naturel chez les arabo-musulmans. Qui s’en voit victime ? Les femmes, encore.

Enfin, quand le féminisme officiel sert si bien le racisme, quel exutoire reste-t-il à ces filles à la fois victimes du sexisme et du racisme ? Soit elles renient leurs parents et leurs frères, soit elles n’ont plus qu’à nier les violences sexistes dans le but de préserver les hommes suffisamment accablés et stigmatisés, soit, et ce n’est pas sans difficulté, elles n’ont d’autre choix que de resignifier le féminisme en y articulant sans relâche une lutte contre le racisme et une lutte contre le sexisme « [15].

La distinction faite par Kéchiche entre les filles et les garçons issus de l’immigration se fait probablement en toute innocence et assurément en toute bonne foi. Cette volonté de rendre hommage aux femmes d’origine maghrébine ne correspond pas nécessairement à la volonté de « tirer le bon filon » mais, à si bien s’inscrire dans l’air du temps, il ne semble pas conscient du tort qu’il fait, aussi, à ces femmes. Sur les femmes, Diderot écrivait en 1772 :

« Si j’avais été législateur (…), je vous aurais affranchies, je vous aurais mises au-dessus de la loi ; vous auriez été sacrées, en quelque endroit où vous vous fussiez présentées. »

Merci Monsieur de tant de grâces, mais comme le souligne Saïd Bouamama [16] :

« Au-dessus des lois plutôt que dans la loi, voilà une excellente façon d’exclure des droits politiques tout en « valorisant » la prétendue spécificité féminine. »

D’une autre manière, Kéchiche aussi, à travers la génialité de ces personnages féminins, prétend à une spécificité féminine. Cette spécificité a beau nous sur-positiver, elle ne se fait, malgré tout, qu’au prix d’une distinction nette aux frais de « nos » frères et nous exclut, par là même, de leurs luttes. Les filles d’origine maghrébine constitueraient en quelque sorte la vitrine acceptable avec le monde extérieur, le monde blanc, tandis que les garçons ne se feraient remarquer que par leur brutalité.

Histoire singulière et récit national

On me rétorquera qu’on a bien le droit de raconter l’histoire que l’on veut, la fiction étant le champ de tous les possibles. Sauf que là, le champ des possibles est curieusement bien rétréci…

Un film n’est jamais un objet désincarné, en suspens. Il s’ancre fatalement dans le sens que les spectateurs peuvent lui donner, et le sens qu’ils peuvent lui donner se fabrique, aussi, par rapport aux récits contemporains, autre que cinématographiques, dont ils sont imbibés (la télévision et les médias en général, les discours politiques et leur storytelling [17]. Chaque spectateur voit également le film en l’inscrivant dans sa filmothèque, en regard avec tous les autres films qu’il a pu voir : mais dans ce cas, là encore, combien de films a-t-il pu voir proposant l’histoire singulière d’un Arabe pour tant d’autres l’assignant uniquement à des rôles de délinquants ou de subordonnés ? Mais encore, combien de films qui humanisent, surhumanisent et super-héroïsent des blancs en regard de celui-ci ?

Je n’accuse pas Abdellatif Kéchiche d’être un « vendu », d’avoir consciemment fait des concessions afin d’obtenir un financement puis l’acclamation de la critique. La réponse par la question du financement est trop simple, trop grossière. Cela procède, à mon avis, de processus beaucoup plus inconscients, de processus d’imprégnation. Mais, de fait, ce que l’on observe c’est que, quand bien même Abdellatif Kéchiche n’aurait fait aucun compromis, aurait été intègre, aurait réalisé son histoire, on ne peut que constater que la singularité, que lui concède unanimement la critique, est en conformité, qu’il l’ait voulu ou non, avec le grand récit idéologique du moment.

Ce n’est peut-être pas sans lien avec cette conformation qu’on a pu constater à quel point la critique cinématographique a généralement acclamé et soutenu le film et que celui-ci a reçu, à ce jour, le prix Delluc ainsi que le prix spécial de la Mostra de Venise. Si la critique apprécie généralement l’ambivalence et la souligne particulièrement pour ce film dans un y a des méchants partout salutaire qui vient soutenir la fabrication d’un Tous égaux ! artificiel, elle comporte malgré tout un point aveugle : si elle encense tant l’ambivalence (le fameux tout n’est pas tout noir ou tout blanc), elle ne remarque d’aucune façon que les jeunes hommes représentés dans le film ne portent en rien cette ambivalence. Ce point, plutôt qu’aveugle, est tout simplement aveuglé par le récit national sur les garçons d’origine maghrébine.

Dans Femmes, Race et Classe, Angela Davis s’intéresse de près à une œuvre de fiction et à son retentissement :

« Une des œuvres les plus populaires de la littérature abolitionniste fut La Case de l’Oncle Tom, de Harriet Beecher Stowe, roman qui rallia à la cause anti-esclavagiste un grand nombre de gens – et plus de femmes que jamais. Abraham Lincoln dit un jour de Harriet Stowe qu’elle était à l’origine de la Guerre de Sécession »

Il est évident que le dernier film de Kéchiche et le roman de Stowe n’appartiennent pas à la même Histoire. Malgré tout, une comparaison me semble envisageable, leurs succès ayant, notamment, reposé sur la confortation d’une idée dominante, à leurs époques respectives :

« Mais l’immense succès que connut son livre ne doit pas faire oublier qu’il offre une image complètement déformée de la vie des esclaves. Le principal personnage féminin n’est qu’une parodie des femmes noires, une transposition naïve de la figure maternelle, exaltée par la propagande culturelle de l’époque. Eliza est l’incarnation de la maternité blanche, mais sous un visage noir, ou légèrement noirci, parce qu’elle est « quarteronne ».

Peut-être Harriet Stowe souhaitait-elle que les lectrices blanches de son roman se reconnussent en Eliza. Elles admiraient sa moralité chrétienne, son infaillible instinct maternel, sa douceur et sa fragilité : les femmes étaient incitées à cultiver ces vertus. »

L’évertuement du personnage d’Eliza et la diabolisation des jeunes hommes d’origine maghrébine dans La Graine et le Mulet peuvent être posés en miroir puisqu’ils répondent tous deux aux exigences de ce que leur époque croit bon et vertueux.

« Si elles ont jamais existé, les Eliza ont fait figure d’exception parmi les femmes noires. Elles n’étaient en aucun cas représentatives de celles qui travaillaient sous le fouet, subvenaient aux besoins de leur famille, la protégeaient et luttaient contre l’esclavage ; ces femmes qu’on frappait, qu’on violait, mais qui ne se soumettaient jamais. »

« Quand Harriet B. Stowe publia La Case de l’Oncle Tom, le culte de la maternité était à son apogée. Dans la représentation qu’en faisaient alors la presse, la littérature populaire et même les tribunaux, la femme idéale et la mère idéale ne faisait qu’un. »

Comme dans le cas de La Case de L’oncle Tom, le succès public et l’approbation de la critique ne doivent pas faire oublier que La Graine et le Mulet offre une image déformée, ou plutôt, déjà cadrée, du garçon arabe. Le fils coureur ou les garçons voleurs ne sont qu’une parodie du jeune homme d’origine maghrébine, une transcription naïve de la figure du garçon arabe, exaltée par la propagande culturelle en œuvre actuellement.

Par sa propension au réalisme, ce film fait déjà effet de témoignage. Espérons que l’Histoire ne lui donnera pas, comme cela a été le cas pour d’autres fictions, valeur de témoignage. Le recul historique nous montrera peut-être ce que les critiques d’aujourd’hui n’ont pas vu, comme cela a déjà été le cas dans l’histoire du cinéma. Tout ce que l’on peut espérer c’est que ce film vieillisse mal : de nouvelles questions émergeront peut-être bientôt, des films à venir en montreront peut-être les limites.

Mais pour l’instant, à la mesure du néant qui existe aujourd’hui dans le cinéma français pour ce qui est de la représentation de la réalité des familles issues de l’immigration post-coloniale, ce film, notamment par sa sincérité, fait figure de première fois. Espérons qu’il se verra bientôt supplanté par bien d’autres films et qu’il nous fasse au plus vite la même impression de nouveauté que nous fait aujourd’hui L’Arrivée d’un train à La Ciotat [18] .

On ne décidera pas si, par un telle assujétion aux discours dominants, Harriet B. Stowe ou Abdellatif Kéchiche ont souhaité obtenir plus de crédit auprès de leurs lecteurs/spectateurs blancs, mais on notera qu’ils ont, en tout cas, réussi à les toucher. Et si Kéchiche ne relancera sûrement pas une nouvelle Guerre de Sécession, il aura au moins partagé avec Stowe la même cible : les femmes. Avec La Graine et le Mulet, il flatte à la fois les femmes d’origine maghrébine qui se voient ici hyper positivées, mais également un certain féminisme qui se réjouira de voir ses certitudes confirmées puisqu’il a pour ennemi le garçon arabe, nouveau fléau de la modernité [19].

À la sortie de La Graine et le Mulet, la diabolisation du garçon arabe a atteint, on l’espère, son apogée. La représentation qu’en font les médias, les fictions populaires [20] et même les tribunaux, construit et réduit le « garçon arabe » aussi injustement que l’envisage Kéchiche : un voleur de mobylette inconscient et irresponsable.

S’ils ont jamais existé les trois jeunes voleurs de mobylette font figure d’exception parmi les garçons de cité. Qui a vécu en cité ne peut que noter le peu de crédibilité de la scène finale. Qu’on lui pique la mobylette qu’il laisse sans attache au bas de son immeuble : d’accord. Mais que les gamins fassent preuve de sadisme envers ce vieil arabe et que, surtout, ils ne la lui rendent pas la mobylette une fois qu’ils voient la tête de la victime de leur forfait, ça n’est pas pensable. Ça n’est pas pensable parce qu’on a beau être des « sauvageons », « des hordes de barbares », de la « racaille » ou encore « des bandes ethniques », on se connaît et on se reconnaît dans une cité. Si Slimane n’habite plus la cité, il l’a sûrement habité tandis qu’il vivait avec sa femme et, de toute façon, sa fille, son fils et son ex-femme l’habitent encore. C’est peut-être un secret que nous nous sommes bien gardé mais, qu’on se le dise, on ne fait pas ça aux « darons [21] ».

Ces trois « garçons de cité » ne sont en aucun cas représentatifs de ceux qui ont su, à plusieurs reprises, interpeller une société entière et qu’on étouffe sous des couvre-feux et qu’on châtre en décrétant l’état d’urgence, tous ceux qui, mieux qu’ailleurs, ont à porter, plus qu’ailleurs, le rôle de « grands frères » qu’on leur a, bon gré mal gré, assigné ; ces garçons qu’on stigmatise, qu’on discrimine, qu’on soumet au harcèlement policier mais qui ne se soumettent pas et qui, contrairement à l’interprétation de Kéchiche, ne sont pas ceux qui ont poussé nos pères immigrés jusqu’à l’épuisement. L’épuisement de nos pères immigrés c’est le travail à l’usine des années durant, le travail dans le Bâtiment ou sur le chantier naval, c’est le manque de fric, c’est le mépris du patron, c’est la honte d’être qui on est, de parler le français qu’on parle, de pratiquer la religion qu’on pratique, de porter le nom qu’on porte, d’avoir la gueule qu’on a. L’épuisement de nos pères immigrés c’est de n’avoir jamais cessé d’être rappelés à l’ordre sur la manière dont ils éduquent leurs enfants, dont ils traitent leurs femmes, dont ils travaillent (le fameux « travail d’arabe ») ou encore sur la manière de pratiquer leur religion. L’épuisement de nos pères immigrés vient de tout ce qu’ils ont dû taire et de tout ce que l’on a dit à leurs dépens.

[1] Plus qu’une couleur, j’entends par « blanc » une catégorie sociologique. Cf Le Mal-être Blanc, PierreTevanian, http://www.indigenes-republique.org/spip.php ?article1230&var_mode=calcul

[2] Film de Rachid Bouchareb avec Jamel Debbouze, Samy Naceri, Roschdy Zem et Sami Bouajila, sortie le 27 septembre 2006

[3] « cheveux blancs » en arabe dialectal, désigne les vieux immigrés maghrébins

[4] Premier film d’Abdellatif Kéchiche, sorti en 2001

[5] »« Je suis une bande ethnique à moi tout seul », Du cœur à l’Outrage, La Rumeur (feat. Serge Teyssot Gay), Discograph La Rumeur Records, 2007

[6] Sur cette question cf. le n°39 « Une vieillesse illégitime » de la revue du Gisti, Plein Droit.

[7] Cf. chapitre 3, « La métaphore mémorielle », de La République du Mépris, Pierre Tevanian, La Découverte, 2007.

[8] Sadri Khiari, Pour une Politique de la Racaille, Textuel, 2006.

[9] Sur le même principe mais à propos de la censure cf. Sur la Télévision, Pierre Bourdieu, Raisons d’Agir, 1996.

[10] Stop quelle violence ? Sylvie Tissot, Pierre Tevanian, L’Esprit Frappeur, 2001

[11] Des beurettes, éditions Grasset & Fasquelle, 2000.

[12] « Ni pute, ni soumise ou très pute, très voilée ? Les inévitables contradictions d’un féminisme sous influence » de Nacira Guénif Souilamas, Cosmopolitiques n°4, juillet 2003.

[13] Ces postures sont néo-coloniales en ce sens que, comme « au temps des colonies », il s’agit pour les autorités de « monter » la femme maghrébine contre les siens, de la désolidariser de leur lutte. Cf. « De la cérémonie du dévoilement à Alger (1958) à Ni Putes Ni Soumises : l’instrumentalisation coloniale et néo-coloniales de la cause des femme », Houria Bouteldja, http://www.indigenes-republique.org/spip.php ?article152&var_mode=calcul

[14] « Bilan d’un féminisme d’Etat. Récupérations féministes et régressions politiques. », Sylvie Tissot, Femmes, étrangers : des causes conccurentes ?, Plein Droit, La Revue du Gisti, n°75, décembre 2007.

[15] "La confiscation et l’instrumentalisation de la cause des femmes issues de l’immigration : Ni Putes Ni Soumises », intervention de Fatima Ouassak lors du Parlement de l’anticolonialisme et contre le racisme, 2006. Voir aussi le travail entamé par le Collectif des Féministes Indigènes.

[16] J’y suis, J’y vote ! Saïd Bouamama, L’Esprit Frappeur, 2000.

[17] Cf. Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Christian Salmon, La Découverte, 2007, etc.)

[18] Film des frères Lumières, tourné en 1895, qui a eu un impact particulièrement durable étant donné son effet inédit à l’époque.

[19] Cf. Les Féministes et le Garçon Arabe, Nacira Guénif-Souilamas et Eric Macé, La Tour d’Aigues, Edition de l’Aube, 2004

[20] J’entends notamment par « fictions populaires » le storytelling et ses néologismes (la « voyoucratie »), mais aussi ces chansons qui se sont retrouvées, il y a peu, propulsées en haut des charts : Koxie, Gare aux Cons, qui met en garde les jeunes filles contre ces garçons qui ont « un sérieux problème d’éducation », et qui désignent explicitement, notamment par son clip, les garçons noirs ou arabes et leur parler racaille ou encore diverses parodies de Michaël Youn tournant au ridicule les codes de la culture Hip Hop. J’englobe également sous l’intitulé « fictions populaires » l’affaire dite du « RER D » qui, loin d’être vraie, confortait tant le délire français sur le nécessaire sexisme et antisémitisme des « garçons arabes » que sa vraisemblance a suffi pour emporter le « délit imaginaire » de Marie L. dans le déferlement médiatique que nous avons connu suite à son témoignage. Cf. l’appel Marie n’est pas coupable ! Pour une lecture politique de « l’affaire du RER D, www.lmsi.net

[21] Mot d’argot désignant les pères ou les parents